The Phoenix Daily

View Original

Le procès de Charlie Hebdo

Une analyse de contributeur Romy Kehdi

Septembre 22, 2020

« Personne n'empêche de croire. Mais qu'on ne nous empêche pas de penser, qu'on ne nous empêche pas de créer »,

Patrick Pelloux, médecin urgentiste et ancien chroniqueur de « Charlie Hebdo »

 

Le 7 janvier 2015, une attaque au sein du siège du journal satirique Charlie Hebdo au 11e arrondissement de Paris fait douze morts. 

Les frères Kouachi, auteurs de l’attentat, sont tués deux jours plus tard au Nord de la France. 

Le 9 janvier, un de leurs complices, Amedy Coulibaly, entreprend une prise d’otages dans le magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris : il tue quatre personnes, après avoir tué une policière à Montrouge. 

 

En prenant aussi en compte d’autres attaques dont l’attentat manqué de Villejuif le 19 avril 2015, en passant par une attaque à bord d’un train Thalys Amsterdam-Paris le 21 août suivant et en arrivant au massacre du 13 novembre de la même année qui a fait 129 morts ; il est assez clair que la fusillade du 7 janvier est la première d’une série d’attaques qui a plongé Paris, ou plutôt la France tout entière, dans une période d’instabilité et d’insécurité totale.

Toutefois, ce qui caractérise l’attentat du 7 janvier n’est pas seulement son emplacement. Ce n’est pas non plus celui qui surprend le plus ou celui qui sème le plus de panique. 

Ce qui distingue vraiment l’attentat contre Charlie Hebdo des autres attaques ; c’est qu’en ce jour particulier, les français ont remarqué que la liberté d’expression n’était pas pour eux réellement garantie, c’est une liberté pour laquelle ils doivent se battre jour après jour. 

 

Dans ce sens, Riss, le directeur de la publication a annoncé lors du procès qui a débuté la semaine passée « On a grandi sans imaginer qu'un jour on pourrait remettre en cause nos libertés » pourtant, cette « liberté dont nous jouissons » netombe pas « du ciel ».

 

Alors que les deux auteurs de l’attentant ont été tués depuis 5 ans, dans le procès qui a commencé ce 9 septembre 2020, la cour d’assises spéciale de Paris va juger quatorze personnes pour leur soutien logistique aux attentats de janvier 2015. Ce procès qui doit durer jusqu'à novembre est le treizième de l’histoire française à se dérouler devant des caméras. 

Pour les blessés, pour les témoins, pour les victimes directes ou indirectes ; ce procès est une étape vitale dans leur chemin vers la justice. 

 

Ces quatorze accusés n’en sont peut-être pas les auteurs directs, mais sans eux, les attentats n’auraient pas été accomplis. 

La convocation de ces personnes est le résultat de longues investigations, leur identité était inconnue en 2015, mais aujourd’hui ils sont présents devant la cour d’assises avec leurs avocats et feront l’objet de longues analyses dans les mois à suivre. 

 

Le premier jour, le président du tribunal reprend les faits des attentats et en le faisant, il récite le nom de chacun et de chacune des victimes. 

C’est un moment auquel on peut s’attendre au cours d’un procès, toutefois on ne peut comprendre la valeur de ce moment aux yeux des parents, des amis, des proches. Avec chaque nom prononcé, l’on se rappelait d’une vie, de toute une âme. 

Ce qui a rendu ce particulier moment encore plus douloureux, c’est qu’alors que le président de la cour lisait la liste des noms, il s’est trompé. 

Au lieu de dire « Stéphane Charbonnier » et « Philippe Honoré », il a dit « François Charbonnier » et « François Honoré » ; le procès commence mal pour les proches de Stéphane et de Philippe, dont la douleur a été ressentie par l’auditoire.

 

Dès le deuxième jour du procès, on entend les accusés raconter leur parcours de vie., Au moment des interrogatoires, la cour leur permet d’ôter leur masque mais il n’est pas certain, pour autant, qu’ils soient vraiment prêts à le laisser tomber.

Ce masque qu’ils ont porté bien avant la pandémie, ils l’ont porté depuis cet attentat ; ce masque derrière lequel ils se sont cachés et derrière lequel ils se cachent encore aujourd’hui.

 

Me Coutant-Peyre, avocate de l’un des accusés, répète depuis le premier jour, cette idée, selon laquelle, elle ne sait plus qui est le vrai terroriste « Je ne sais pas de quel côté est le terrorisme ». Par cette réplique, elle accuse l’État français d’avoir mis Ali Riza Polat, son client, dans des conditions pénibles qui l’auraient poussées au crime.  

 

Ce qu’on apprend essentiellement du procès jusque-là, c’est que Riss, directeur général de publication de Charlie Hebdo, ne regrette pas d’avoir publié les caricatures qui ont fait du journal une cible pour les djihadistes. 

Ce procès c’est un combat pour la liberté d’expression, « Nous ne nous coucherons jamais. Nous ne renoncerons jamais », explique-t-il après avoir republié la semaine passée les caricatures qui se sont avérées mortelles 5 ans auparavant. 

Cet acte a été encouragé par le président français Emmanuel Macron qui, lors de sa visite au Liban, a déclaré qu’ « Un président de la république en France n’a jamais qualifié un choix éditorial d’un journaliste ou d’une rédaction, parce qu’il y a une liberté de la presse ».

 

Cette affirmation est peut-être vraie aujourd’hui en France, mais au Liban, les violations de la liberté d’expression se font sentir jour après jour dans une période mouvementée caractérisée par des crises au niveau économique et social, couronnée par la pandémie du coronavirus.

En effet, depuis deux semaines, la chaine télévisée MTV a été interdite d’accès au palais présidentiel, à Baabda. 

De plus, une décision récente a interdit aux étudiants de l’Université Libanaise de critiquer l’établissement sur les réseaux sociaux.

Tout ceci est coiffé de menaces faites par chaque parti politique et de poursuites faites par les politiciens eux-mêmes contre des journalistes ; comme les plaintes portées contre la journaliste Dima Sadek par l’ancien ministre et chef du courant patriotique libre Gebran Bassil et par le président de la chambre des députés Nabih Berri.