« Je te harcèle, donc je suis. »
Une analyse d’opinion de Nour Lana Sophia Karam, auteur
Octobre 10, 2020
Elsa est une jeune adolescente libanaise.
Comme à son habitude, elle rend visite à pieds à sa tante maternelle, laquelle habite à environ dix minutes de chez elle, à Ashrafieh.
Le 20 septembre 2020, par une soirée ordinaire d’été, alors qu’Elsa se dirigeait chez sa tante, elle est interpelée par un inconnu. De nature sociable, celle-ci lui répond, mais elle ne sait pas que celui qui se trouve devant elle est Moussa Georges Medawar, un individu connu de la police pour les multiples vols, harcèlements sexuels et viols qu’il a commis au cours des quatre dernières années.
Celui-ci, de façon insistante, lui fait croire que ses vêtements sont tachés au niveau du bas de son dos. Il lui propose de l’aider à se nettoyer. Elsa est sceptique et décide de l’ignorer.
C’est alors que, sans gêne, comme un lion qui fonce sur sa proie avec détermination, il attrape violemment son derrière de ses sales mains.
Terrorisée, l’adolescente se défend en lui donnant un coup de coude. Elle accourt ensuite vers le domicile de sa tante, tant bien que mal, et s’y réfugie.
Entretemps, son harceleur ne baisse pas pavillon.
Brandissant d’une main son téléphone portable avec lequel il filmait la poursuite et de l’autre - très indécemment - son sexe, il suit Elsa jusqu’au bout. Ce n’est que quand il parvient à satisfaire ses pulsions sexuelles qu’il tourne finalement le dos, probablement en quête d’une prochaine victime à terrifier.
Grâce aux vidéos de sensibilisation qu’a publiées son frère - le comédien Toufiluk - via son compte Instagram, dans lesquelles figurent des enregistrements de vidéosurveillance qui font apparaître le harceleur, plusieurs autres victimes de ce même individu ont décidé de témoigner. C’est le cas d’Anna, qui, il y a trois ans, à l’âge de 17 ans, a également subi des attouchements de sa part contre son gré : l’obsédé l’avait suivie jusqu’à l’ascenseur de son immeuble et avait, encore une fois, usé de son entrejambe de façon obscène afin de combler ses besoins. Samantha raconte elle aussi qu’elle aurait aperçu cette même personne en public, le pantalon baissé et le sexe en l’air, dans la même région.
Les récits d’Elsa, d’Anna, et de Samantha ne sont malheureusement pas les premiers de leur genre. L’insécurité à laquelle sont confrontées les filles et les femmes dans les rues au Liban est aujourd’hui alarmante.
En effet, la situation socio-économique ne cesse de se détériorer au Liban et entraîne collatéralement une hausse effrayante des plaintes pour harcèlement sexuel. C’est ainsi que le taux de ces plaintes a augmenté en l’espace d’un mois de 104%.
Il est à noter que ce taux ne concerne que les plaintes ayant été déposées par l’intermédiaire des comptes des Forces de Sécurité Intérieure (FSI) sur les réseaux sociaux et via leur plateforme « Ballegh » (en français, « Signaler »). Néanmoins, il ne serait pas étonnant que les statistiques soient loin de la réalité, compte tenu tant du nombre de plaintes qui ne sont pas prises au sérieux que de la peur des victimes de parler ouvertement d’un sujet aussi sensible.
Sur ce dernier point, il est incontestable que le harcèlement sexuel demeure un sujet tabou au Liban. Ce n’est que très récemment que les voix ont réellement commencé à s’élever. Un rassemblement réunissant des centaines de Libanaises avait ainsi eu lieu en décembre 2019, dénonçant les violences faites aux femmes. Trois ans plus tôt, en 2016, une plateforme numérique, Harasstracker- avait vu le jour. Celle-ci consiste à ajouter sur une carte les différents points où harcèlements et agressions sexuelles ont eu lieu.
Si les langues se délient petit à petit, il n’en demeure pas moins que les autorités compétentes font toujours preuve de laxisme quand il s’agit de décider du sort d’un harceleur de rue.
À la grande surprise de tous, il a été décidé que Moussa Georges Medawar - qui avait été arrêté quelques jours après le dépôt d’une plainte de la part d’Elsa - ne serait emprisonné que pour une courte durée de deux semaines, sous prétexte que ce qu’a subi l’adolescente n’est pas qualifiable de harcèlement sexuel, mais simplement « d’atteinte aux bonnes mœurs ». La justice libanaise se fait là complice du machisme maladif dominant dans notre société.
En outre, le Code Pénal libanais ne définit pas le harcèlement sexuel. Selon la loi française, celui-ci serait défini comme « le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante». Il est clair qu’au regard de la loi française, ce qu’ont subi ces trois adolescentes aux mains de ce harceleur en série serait qualifié de tel. Non sans surprise, la loi libanaise demeure lacunaire en la matière et le Code Pénal mériterait ainsi d’être révisé pour s’adapter aux besoins ce notre temps.
Pour ce faire, il faudrait que nos députés prennent les rênes du pouvoir. De façon réaliste, ceci est loin d’avoir lieu sachant que jusqu’à aujourd’hui, quatre projets de loi en la matière ont été écartés et dorment dans les tiroirs du Parlement. Parmi ceux-ci figure le projet de loi présenté par l’ex-député Ghassan Moukheiber, criminalisant expressément le harcèlement sexuel.
Aussi, d’un point de vue sociologique, il conviendrait de sensibiliser les garçons dès leur plus jeune âge au respect des filles et des femmes. Pour éviter qu’ils ne soient frustrés sexuellement dans leur adolescence, il faudrait que leurs parents aient d’honnêtes conversations avec eux sur le sujet, et qu’ils leur expliquent l’importance du consentement.
Ceci éviterait sans doute qu’ils grandissent dans l’ignorance et qu’ils soient enclins à la misogynie.
Effectivement, il va sans dire que filles et femmes sont souvent blâmées et rabaissées quand elles dénoncent de telles atrocités : il arrive fréquemment que des officiers de police sans scrupules les responsabilisent lorsqu’elles portent plainte, leur adressant des commentaires déplacés sur leur façon de se maquiller, de s’habiller, ou encore de parler. Ces comportements de la part de personnes supposées assurer l’ordre en société sont sans doute la raison pour laquelle certains hommes continuent sans relâche à exercer leurs habitudes exécrables. Ils se sentiraient assistés par le système.
C’est lorsqu’il est fait fi de sujets aussi essentiels que les sociétés deviennent sauvages.
C’est lorsque la parole est trop étouffée et que l’on coule dans la culture du laisser-aller trop longtemps que nous forgeons le profil d’agresseurs frustrés.
Apprenez le respect à vos fils.
Apprenez-leur à taire les commentaires scabreux de certains et à accuser les comportements licencieux d’autres plutôt que de les seconder.
Apprenez-leur que le harcèlement sexuel ne doit pas être une inexorable fatalité pour le sexe féminin.
ÉDUQUEZ VOS GARÇONS
PROTÉGEZ VOS FILLES
« Le harcèlement met en scène deux protagonistes : une bête et sa proie. »
Édith Boukeu