Une analyse d’opinion de Saria Sfeir, contributeur

Juillet 4, 2020

Je crois en la coexistence de différentes communautés et en la diversité. Le Liban dans lequel j’aimerais vivre, c’est celui des histoires de mes grands-parents. Celui où l’on pouvait prendre le tramway pour aller au cinéma ou à la plage. Celui où l’abondance et la culture rajoutaient un charme à la Méditerranée. Celui duquel je suis toujours nostalgique, bien que ce soit drôle puisque je ne l’ai jamais connu comme ça. Le point n’est pas là. J’ai longuement réfléchi, surtout en ces temps de crise. Je ne suis qu’une étudiante, mais de par ma nature, quand il y a des problèmes, mon réflexe est d’essayer de proposer des solutions. Aujourd’hui je vois ce qu’il reste de mon pays s’effondrer de jour en jour, la crise s’accentue et les gens sont dans le flou. Personne n’aime le flou. Le flou n’est jamais rassurant. Dans cet article je présente le fruit de longues réflexions par rapport à une idée qui a déjà été évoquée devant moi, avec laquelle au début je n’étais pas tout à fait d’accord. Mais en temps de crise, il faut agir, et agir vite ; c’est ce qui m’a poussée à mettre sur papier ce à quoi je réfléchissais tout ce temps. Un ami m’a une fois dit que beaucoup de gens ont des idées, mais si ces idées ne sont pas partagées, qu’elles aient ou pas le potentiel de changer les choses, elles resteront des idées et s’estomperont avec le temps.

L’idée des cantons au Liban, comment et pourquoi

Beaucoup d’évènements ont eu lieu depuis la révolution du 17 octobre dernier. Le peuple est descendu dans la rue réclamer justice, les manifestations sont récurrentes depuis, et nous ne pouvons pas nier que les tensions montent vite entre les partisans des différents partis politiques pour une raison ou pour une autre. Je ne suis pas là pour faire un bilan ou une analyse détaillée de ce qui s’est passé, et je suis d’accord avec les revendications de la révolution.

Mais - et mon "mais" est ce qui me permettra de me lancer dans mon argumentation - tout cela est bien beau MAIS c’est encore trop tôt. J’ai eu beaucoup de débats avec des activistes, des amis, des proches, et cette question du "mais" est toujours récurrente. "Mais ça va prendre du temps..." ils m’ont tous dit. Comment "raccourcir" ce temps qu’il faut pour un réel changement ? Comment définir une esquisse de "plan" histoire d’y voir plus clair ?

Quand on cherche une solution à un problème, un premier réflexe est de considérer les priorités. A l’heure actuelle, il y a une seule priorité : relancer l’économie. Comment faire cela de manière efficace, rapide, et surtout en prenant en compte le maximum d’autres problèmes dont la source est principalement socio- culturelle ?

La solution de Cantons.

Si vous êtes actuellement en train de lire cet article, c’est que vous faite parti des rares personnes au Liban qui ont un sens critique, qui désirent un changement, et qui peut être croient en la coexistence prospère des différentes religions. Je vous prie de suivre mon raisonnement jusqu’à la fin, avant de complètement recaler cette idée.

Pourquoi les cantons ?

La guerre civile au Liban est certes terminée, mais les séquelles sont toujours présentes. Qui blâmer ? Ce n’est pas important. Ce conflit est beaucoup trop complexe et surtout tabou de nos jours. Chaque famille a son histoire, ses raisons de haïr, et la haine est justifiable et présente, aussi erronée qu’elle soit.

Les gens au Liban vivent déjà assez regroupés par communauté (2). Les "cantons" sont donc déjà plus ou moins délimités. Bien que les revendications de la révolution d’abolir le système confessionnel sont tout à fait sensées, elles sont à l’heure actuelle quasi-impossible (voir statistiques figure 4), et surtout en temps de crise.

Nous savons que chaque confession au Liban a de bonnes relations avec certains pays de la carte (Figure 1). Les partis chrétiens sont proches de l’occident, les chiites de l’Iran et du régime de Bachar el Assad en Syrie, les sunnites des pays du Golfe...

En fin de compte, il faut prendre conscience que notre pays n’est que le plateau de jeu de pays plus puissants aux aspirations différentes pour la région. Notre pays est un endroit géo-politiquement stratégique. Continuer comme ça ne peut que mener à des tensions supplémentaires, et beaucoup de gens au Liban sont conservateurs par rapport à leur religion, leurs coutumes etc... Les tensions existent et sont en train d’être de plus en plus alimentée ces temps-ci.

Voilà pourquoi, pour l’instant, le mieux serait d’instaurer des cantons et de déclarer le Liban un pays neutre. Le passé est trop lourd et compliqué, et dans la région nous sommes quasiment la seule démocratie multi-confessionnelle.

Chaque canton aurait le droit de signer des contrats avec les pays qu’il désire il y aurait une sorte de "No boundaries for business contracts".Il pourra trouver les investisseurs dont il a besoin, afin de commencer à réinjecter de l’argent dans le pays, et de développer les infrastructures. De plus, il est toujours plus facile de conserver la transparence à petite échelle.

"Cette solution accentue la division, la haine, les tensions..."

Non. Un simple non, pourquoi ?

Si un jour le Liban redevient la "Suisse du Moyen-Orient", et que le système des Cantons est en effet choisi d’être appliqué pour nous sortir de la crise, il faudra insister sur quelques points :

1. L’éducation est le pilier principal des fondations de l’éducation. Le système éducatif au Liban devra être complètement- voire en grosse partie public. Un livre d’histoire sur la guerre civile devra être rédigé de manière neutre, le programme d’histoire dans TOUTES les écoles devra être focalisé sur l’hisoire du Liban, de la Phénicie à aujourd’hui. Ainsi, la haine s’estompera, une fois que les élèves recevront un point de vue objectif sur cette guerre qui n’a fait que détruire même après sa fin.

2. Les écoles étant publiques, des correspondances et des échanges entre les étudiants permettront de brasser les différentes cultures, car oui, même si nous parlons la même langue, nous ne pouvons en aucun cas nier que la différence de religion est une différence de culture.

3. Abolir le pouvoir des hommes de religion. La loi doit être la même pour quiconque commet un crime, souhaite redistribuer son héritage etc... Le mariage civil doit être instauré (cela n’implique pas l’inter- diction du mariage religieux , nuance !). Quiconque souhaitant se marier à une personne d’une religion différente devrait avoir le droit de le faire sur sa propre terre.

4. Pour aller d’un canton à un autre, pas de militaire ou de "Hajez". Rien, aucune frontière. Des transports publiques devraient être établis (train) pour pouvoir circuler librement entre les différents cantons. En revanche, les transports internes au Canton, (lignes de bus - tram...) seraient une décision qui reviendrait au Canton lui même.

Il y a encore beaucoup trop de points à élaborer, je ne suis pas là pour rédiger une nouvelle constitution, mais pour défendre une idée. De mon point de vue, il y a beaucoup de choses sur lesquelles nous devrions nous attarder afin que le Liban puissent encore ressembler à un pays d’ici quelques années, mais même si le "vivre ensemble" est un objectif que beaucoup cherche à atteindre dont moi, il ne faut pas oublier que la plupart des gens éduqués ou pas ont des préjugés enracinés en eux, et ce n’est que plusieurs générations plus tard que ces propos disparaîtront.

La décision d’instaurer des cantons aidera sur le court terme, puisque le pays qui refusent de nous endetter pour une raison ou pour une autre verront qu’un changement a été fait, mais aussi, sur le long terme, nous pourront développer de bonnes relations internationales, et garder une économie prospère, ainsi qu’éviter les conflits.

En ce qui concerne la division géographique des cantons, nous voyons que sur la carte 2, certaines zones sont déjà délimitées (en couleur pour les majorités de religions) Je ne m’attarderai pas sur la division exacte, je n’en n’ai aucune idée, celle-ci ne dépendra pas uniquement de la religion dominante géographiquement, mais aussi du "degré" de coexistence et de tolérance entre les différentes communauté. Par exemple si dans une région il y a une coexistence de deux ou trois religions et aucune réelle tension entre les communautés, celles-ci pourraient être regroupés dans un même canton.

Conclusion :

La défiguration a lieu, et elle est rapide. Le pays a besoin d’argent, et pour cela, une réforme radicale est nécessaire. Le gouvernement actuel n’a fait aucune preuve de capacité à gérer la crise, et les négociations n’aboutiront pas du au fait que les différents intéressés sont en guerre, et mettent des conditions différentes pour le prêt d’argent.

Je n’aimerai pas que le Liban se transforme en dictature, quelle qu’elle soit. Nous avons la capacité d’être un pays souverain, riche, développé, avec des frontières contrôlées. La seule carte qu’il nous reste c’est celle de la diversité, qui elle, sans le cacher, est au bord de l’effondrement. Si le Liban est proclamé neutre, nous serons enfin un pays dont les citoyens ont la capacité de décider de leur destin.

Nous serons une plate forme de business, d’échanges, avec tous les pays. Les Libanais sont connus à l’extérieur pour être de bons businessman, construisons alors notre pays à cette image. Même si des élections anticipées ont lieu maintenant, vous qui lisez cet article, prenez conscience que le reste des libanais n’est peut être pas aussi ouvert d’esprit et incorruptible que vous. Des élections anticipées ne feront que multiplier le clientélisme, les gens dans le besoin ne réaliseront pas la conséquence de leur vote contre un peu d’argent.

Non que je n’aimerai pas que tout cela soit plus facile, mais comme vous le savez sans doute "ça va prendre du temps". Le système de "cantons" sera donc une accalmie pour les tensions, et permettra aux habitants de se concentrer localement sur l’amélioration de leur entourage.

Annexe: