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Le rapatriement des libanais de l’étranger : bon plan ou bombe à retardement ? Étude de cas : Les étudiants libanais de Paris face au Covid-19

Une analyse des politiques, Nour Lana Sophia Karam, auteur

Mai 14 2020


Si vous êtes libanais, ce n’est que très ponctuellement -voire très rarement- que l’État a éveillé en vous un sentiment de fierté quand il s’agissait pour lui de gérer l’organisation d’une situation environnementale, économique, ou encore sécuritaire… 

La donne serait-elle en train de changer depuis la prise en charge du pays par le gouvernement Diab ? Ce dernier est-il à la hauteur de la situation sanitaire du pays, depuis que le Covid-19 s’y est installé par la force depuis le 20 février 2020 ? Il semblerait que la réponse à cette question ne fasse pas l’unanimité au pays des cèdres ; et pour cause, la controverse autour du sujet du rapatriement des libanais de l’étranger. 

Annoncé au début du mois d’avril, le processus de rapatriement a été mis en place par le gouvernement au profit de ceux qui n’ont pas pu regagner le pays avant le 18 mars 2020, date définitive de fermeture de l’aéroport international de Beyrouth, décidée trois jours auparavant à l’issue d’un Conseil des ministres réuni en urgence à Baabda dont la finalité principale était de mettre en œuvre les moyens les plus optimaux pour enrayer la propagation du virus sur le territoire. 

Divisée en trois phases, la planification du retour des expatriés a effectivement eu lieu pour la première fois des 5 au 13 avril 2020, en commençant par un avion en provenance de Riyadh, capitale saoudienne. S’en suivit la seconde phase du 28 avril au 8 mai 2020. À elles seules, ces deux phases ont environ accueilli 50 avions et près de 8 500 expatriés. La troisième étape, elle, prévue des 14 au 24 mai 2020, prévoit de rapatrier environ 12 500 personnes. Cette dernière aura-t-elle bel et bien lieu malgré la montée en flèche des cas de Covid-19, surtout parmi les rapatriés ; à savoir, trente-cinq cas en provenance du Nigeria, du Qatar, des Émirats Arabes Unis, et d’Arabie Saoudite recensés entre le 6 et le 7 mai 2020 ? Le processus risque-t-il d’être suspendu jusqu’à nouvel ordre pour éviter que la courbe des cas positifs ne s’aventure sur une trajectoire ascendante ? La compagnie aérienne nationale Middle East Airlines (MEA) aurait-elle pu éviter les contagions à bord de ses avions en adoptant des mesures plus strictes ? Serait-elle en train de faire fi des directives et mesures de sécurité sanitaires imposées par l’État libanais comme le montre une série de vidéos filmées la nuit du vendredi 8 mai dans l’avion transportant les libanais d’Angleterre, lesquels dénonçaient l’absence du « mètre de distance de sécurité » entre les différents passagers ?

Organisation par l’aéroport international de Beyrouth et les FSI de l’arrivée des libanais de Paris, 7 avril 2020. Source : Nabil Ismail, Photography Talk (Facebook)

Place aux témoignages de Katia* et Maha*, deux étudiantes libanaises habitant seules depuis trois ans à Paris, ayant respectivement été rapatriées au Liban le 7 avril et le 6 mai 2020. 

Comme le reste des étudiants de France, elles se doutaient qu’un confinement au niveau national soit annoncé au soir du lundi 16 mars 2020 lors d’une allocution du président de la république française Emmanuel Macron. Comme pour tout le monde aux quatre coins du globe, leur routine s’en trouva bouleversée…Cependant, en raison de la lourde crise économique qui s’abat sur le Liban depuis Octobre 2019, et qui, ces derniers mois, a pris une ampleur grandissante en raison de la vertigineuse dévaluation de notre livre libanaise, il était plus difficile pour elles -comme pour la quasi-totalité des étudiants libanais de l’étranger- de recevoir les transferts d’argent de leurs parents… S’ajoute à ce problème celui du sentiment de solitude des étudiants comptant uniquement sur eux-mêmes, le confinement n’étant pas aussi facile à gérer en solo qu’en famille ou entre amis. Ce sont principalement ces raisons qui les ont poussées à s’inscrire au programme de rapatriement via l’ambassade du Liban en France. 

Formulaires à remplir comprenant les informations de base, emails et multiples coups de fils à cette dernière sont les étapes primordiales pour avoir la chance d’être sélectionné par l’ambassade parmi tous les inscrits, étapes que Katia* et Maha* ont évidemment suivies. 

 

Après une attente d’environ quelques semaines, c’est le bureau de la MEA qui les a informées deux jours avant leurs vols respectifs qu’elles pourraient enfin rentrer au pays si elles le souhaitaient. En l’acceptant, la compagnie aérienne procéda directement à leur enregistrement en ligne et les interrogea sur leur préférence par rapport au paiement de leur ticket dont le prix, sur remise de leurs cartes d’étudiant, serait réduit de 50%. Elles avaient ainsi le choix comme tous les autres rapatriés de payer sur place ou une fois au Liban, à leur retour ou par l’intermédiaire de leurs proches. 

Le jour J tant attendu étant arrivé, nos expatriées se firent accueillir à l’aéroport de Roissy par des membres de l’ambassade du Liban en France qui se devaient de superviser la mise en œuvre des mesures de rapatriement et de vérifier leur conformité avec la procédure de retour minutieusement prévue par le gouvernement : ils se chargèrent de distribuer aux libanais des formulaires d’engagement -engagement de confinement à l’adresse mentionnée dans ledit formulaire sous peine de poursuites- à signer devant les membres de la sécurité générale libanaise sur place, ceci après le dépôt de leurs bagages aux différents comptoirs d’enregistrement prévus à cet effet. Avant d’accéder à la porte d’embarquement, l’équipe médicale se devait d’effectuer un examen (symptômes de maladies respiratoires, toux, température…) pour s’assurer que les passagers n’étaient pas infectés. Le cas échéant, ils devaient être évacués à bord d’un avion médical. Pour le reste, l’embarquement se faisait et durait près de deux heures : les passagers étaient appelés par groupes afin que soit maintenu entre eux le mètre de distance de sécurité.

Le personnel du ministère libanais de la Santé attend que les passagers soient dépistés pour le coronavirus à l'aéroport de Beyrouth. (AP)


Devant la porte de l’avion, la température des passagers était prise de nouveau, et des bracelets colorés se firent distribuer : les bracelets verts indiquaient que le test PCR avait été effectué en France avant le vol et que son résultat était négatif, tandis que les bracelets jaunes indiquaient que le test n’avait pas été fait par le passager mais que celui-ci ne présentait pas de symptômes graves. Évidemment, il va sans dire que le personnel à bord (hôtesses de l’air, médecins et infirmières mandatés par le ministère de la Santé publique libanais…) était en combinaison de protection. Les voyageurs, eux, devaient porter des masques et des gants pendant toute la durée de leur voyage, sauf s’ils le décidaient, au moment de la distribution de la nourriture présentée dans des boîtes hermétiques. Katia* et Maha*, de nature prudente, préférèrent toutes deux garder leur masque durant la durée de leur voyage plutôt que de manger la nourriture offerte.



Si l’avion à bord duquel est rentrée Katia* le 7 avril portait 118 passagers, espacés les uns des autres par un siège au moins tel que le préconisait le gouvernement dans le plan établi, l’avion du 6 mai 2020 dans lequel rentrait Maha* ne respectait pas ceci parfaitement, puisque certains passagers étaient apparemment là de trop : serait-ce une simple faute de logistique ou un acte délibéré de la MEA, lourd de conséquences ? Nous n’en savons rien jusqu’à présent. 

Selon les récits de Katia* et Maha*, ce point semblerait être le seul bémol dans un ensemble de mesures prises, plutôt bien orchestrées.


Quatre prises de température plus tard, les expatriés devenaient enfin des rapatriés. 

Malgré un atterrissage plutôt calme, les habituels applaudissements et appels aux taxis n’étant pas au rendez-vous, les passagers étaient soulagés d’être de retour. 

Évacués par groupes de cinq personnes selon les observations de Maha*, les rapatriés ne transportant pas de résultats de laboratoire négatifs (effectués en France moins de trois jours avant le départ) devaient effectuer le test de diagnostic PCR. Les autres en étaient exemptés et étaient autorisés, à condition de respecter les mesures de prévention imposées, à partir en quarantaine à domicile. 

Les échantillons prélevés des tests effectués à l’aéroport international de Beyrouth seraient, suite à leur collecte par le ministère de la Santé publique, envoyés à des laboratoires spécialisés qui se chargeraient de communiquer les résultats au plus vite, au maximum dans les vingt-quatre heures suivantes. En attendant, Katia*, Maha*, et le reste des bracelets jaunes seraient transportés dans une douzaine de bus -nombre s’expliquant par le fait que les bus ne pouvaient être entièrement remplis- vers des centres de quarantaine agréés par le ministère de la Santé publique. 

Avant de quitter l’aéroport pour rejoindre l’hôtel dans lequel elles passèrent une nuit, les étudiantes de Paris remplirent un dernier questionnaire qui permettrait aux différents ministères concernés d’adopter les mesures appropriées une fois les résultats des tests PCR publiés. Elles se firent également désinfecter par un vaporisateur. Le suivi de toutes ces personnes se faisait de façon très sérieuse. 

 

Le lendemain de son arrivée, Katia* reçut un appel téléphonique du ministère de la Santé qui lui informa que son test PCR était positif : prise de panique, elle s’attendait au pire ; mais le traitement et la prise en charge qu’elle reçut la surprirent agréablement. Elle fut vite transportée vers un centre de traitement spécialisé dans lequel elle passa une nuit complète. Le jour suivant, le personnel hospitalier encadré par le ministère de la santé lui autorisa d’en sortir pourvu qu’elle se confine toute seule pendant une période de deux semaines. Sans contester, c’est ce qu’elle fit, et chaque jour, elle reçut des appels téléphoniques des personnes mandatées à cette fin qui se chargèrent de son suivi.

Maha*, elle, présenta un résultat négatif et a ainsi été directement autorisée à se rendre à son domicile en quittant l’hôtel. Elle se conforme strictement à l’interdiction de sortir de chez elle avant la fin de la période de quarantaine. 

 

Si Katia* et Maha* font partie de celles qui respectent fermement les directives édictées par le ministère de la Santé publique et ne violent pas leur engagement de se claquemurer à l’adresse qu’elles ont indiquée dans les formulaires remplis, d’autres tentent d’esquiver leur défense de sortie, inconscients des répercussions que ceci pourrait avoir à la grande échelle. 

Le Liban, selon un graphique de l’Université américaine de Harvard, figure certes depuis quelques semaines parmi les quinze pays qui ont le mieux contrôlé le Covid-19.

Néanmoins, sans véritables efforts individuels, tant par nos amis rapatriés que par nos concitoyens, la tendance sera très probablement inversée.

 

Non au laxisme de ceux qui ne sont pas assez conscients de l’impact de cette pandémie à l’échelle mondiale.

Non à l’insouciance de ceux qui se croient intouchables par cet ennemi invisible.

Non à l’égoïsme libanais qui nous a tant coûté au fil des années.

Oui à l’entraide, à l’altruisme, à la solidarité.

Faisons-le pour nos aînés, pour nos enfants, pour le personnel soignant. 

Faisons-le pour que notre Liban renaisse petit à petit de ses cendres. 

 

« Sans solidarité, performances ni durables ni honorables. » François Proust

 

*Les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat des deux étudiantes libanaises.