L’effet de COVID-19 sur l’exécution des contrats au Liban
Une analyse, Youssef Khattar, auteur
30 Avril, 2020
Le Covid-19 a été qualifié de pandémie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et a forcé la plupart des gouvernements à prendre des mesures de confinement très sérieuses pour éviter sa propagation. Ces mesures ne produisent pas seulement des effets sur l’économie mais aussi sur l’exécution des contrats conclus avant que celles-ci aient été mises en place.
Nous allons donc répondre aux questions les plus communes concernant les effets du virus sur l’exécution des obligations contractuelles :
-Les différentes parties du contrat sont-elles capables de demander la dissolution de celui-ci pour force majeure ? (Nous pensons par exemple à un contrat de bail dans lequel le débiteur ne peut plus payer son loyer vu qu’il ne touche plus son salaire).
-Ces circonstances permettent-elles aux parties de renégocier le contrat ? (Le propriétaire d’une usine est-il capable de payer ses employés la moitié de leur salaire jusqu’à la fin de cette période ?)
Pour répondre à ces questions, nous allons envisager le point de vue du débiteur ainsi que celui du créancier. (Dans un contrat de bail, le bailleur (le propriétaire de la maison qui demande le loyer) est le créancier vis-à-vis du locataire (l’individu qui habite dans la maison) et ce-dernier doit devant lui payer le son loyer : le locataire est ainsi le débiteur).
Nous allons définir la force majeure et relever quelques textes de lois ainsi que des décisions prises concernant l’effet du Covid-19 sur l’exécution des contrats avant d’exposer le rôle important de la puissance publique durant cette période et l’influence qu’elle a sur l’exécution de ces contrats.
D’après les articles 341 et 342 du Code des Obligations et des Contrats libanais, la force majeure est un événement qui rend l’exécution des obligations contractuelles impossible. Sa preuve doit être rapportée par le débiteur de l’obligation inexécutée. Elle ne résulte pas du comportement de ce-dernier, et survient après la conclusion du contrat (elle doit donc être imprévisible au moment de la conclusion du contrat).
Il faut donc que l’événement présente trois critères pour qu’il soit qualifié de force majeure : irrésistibilité, imprévisibilité, et extériorité (hors du contrôle du débiteur). Ces trois critères sont très sévèrement appréciés par la jurisprudence vu qu’il faut concilier la protection du débiteur des obligations impossibles à exécuter, avec la force obligatoire des contrats. En effet, le contrat est qualifié en droit de « loi des parties » et doit s’imposer à ceux qui l’ont conclu ainsi qu’au juge). Il faut donc différencier la force majeure des simples “imprévisions”, la première rendant l’exécution des obligations contractuelles impossible et non pas simplement plus difficile ou plus onéreuse. Dans ce deuxième cas on parle d’une simple “imprévision” qui n’aura aucun effet sur le contrat en droit libanais.
Il faut noter que le haut nombre de patients qui guérissent du virus pourrait poser un problème quant à l’appréciation du critère d’irrésistibilité qui doit nécessairement être rempli pour qualifier l’événement de force majeure. Néanmoins, il convient de signaler qu’indépendamment de l’effet du virus sur les personnes touchées, les conséquences de ce dernier (telle la mise en place de mesures d’ordre public,…) peuvent être qualifiées non seulement d’irrésistibles - les contractants ne pouvant pas décider de ne pas respecter ces mesures pour accomplir leurs obligations contractuelles- mais aussi d’imprévisibles vu que les mesures prises par le gouvernement aujourd’hui sont sans précédent.
Il convient de noter que ces mesures sont incontestablement extérieures aux parties contractantes vu qu’elles ont été prises par la puissance publique. Il convient ainsi de souligner que l’article 341 du Code des Obligations et des Contrats oblige les contractants à prendre les impossibilités “juridiques” en considération ce qui signifie que toutes ces mesures sont légalement qualifiées d’impossibilités “juridiques” et ont un effet indiscutable sur le contrat et indépendamment de l’appréciation des juges, ces actes remplissent le critère de l’extériorité de l’événement.
Les circonstances entourant la dissémination du Covid-19 pourraient donc être constitutives de force majeure. C’est ainsi que, dans un arrêt français rendu le 12 mars 2020, la 6ème chambre de la cour d’appel de Colmar a jugé que les circonstances liées au Covid-19 revêtaient le caractère de force majeure. Nous lisons ainsi dans l’arrêt en termes clairs “circonstances exceptionnelles et insurmontables, revêtant le caractère de la force majeure, liées à l'épidémie en cours de Covid-19” (Cour d'appel, Colmar, 6e chambre, 12 Mars 2020 – n° 20/01098). Cet arrêt pourrait être très important pour le droit libanais vu que la jurisprudence libanaise s’inspire souvent de la jurisprudence française. Il est à noter qu’il s’agit en principe de la seule décision de justice dans les systèmes juridiques français et libanais ayant jugé que des circonstances liées au corona virus étaient constitutives de force majeure.
Dans des circonstances “normales”, si un événement de force majeure rend les obligations essentielles d’un contrat inexécutables, le contrat est automatiquement résolu, l’intervention du juge n’étant pas nécessaire dans ce cas. Mais vu que dans la majorité des cas les circonstances liées au Covid-19 n’ont pas réellement détruit les objets des contrats -leur raison d’être-, il serait difficile d’envisager une hypothèse dans laquelle un contrat serait résilié en raison du virus. Néanmoins puisque cette force majeure rend l’exécution des obligations contractuelles temporairement impossible, le débiteur de l’obligation inexécutée pourra demander d’être exonéré d’exécuter ses obligations temporairement et de ne pas payer des dommages et intérêts pour la période correspondante à cet empêchement, il devra tout de même reprendre l’exécution de ses obligations normalement une fois que l’empêchement disparait. Ainsi, il sera probablement demandé au débiteur d’exécuter les obligations qu’il a pu éviter lors de la période durant laquelle leur exécution était impossible (on pourrait donc dire que le débiteur ne fait que reporter l’exécution de ses obligations). Nous pensons à un locataire qui devra probablement payer le loyer qu’il n’a pas pu verser durant le confinement, et ceci par échelonnement jusqu’à ce qu’il rembourse le montant total. Il ne devrait cependant pas être obligé de payer des dommages et intérêts à son créancier.
Il s’agirait en somme d’un report de l’exécution des obligations contractuelles.
Indépendamment de toute analyse juridique des circonstances actuelles, le sort d’une grande majorité des contrats est une question d’intérêt public. Si nous nous intéressons aux contrats de bail à usage d’habitation, le bailleur ne peut évincer ses locataires durant une période comme celle par laquelle nous passons: une intervention de la puissance publique est très probable en l’espèce. La mise en place de textes de lois et de réglementations provisoires qui détermineront les modalités d’exécution des contrats affectés par le Covid-19 est donc très probable (ce type de dispositions a déjà été mis en place à Singapour et au Bahreïn).
Précisons que toute qualification donnée par des figures de puissance publique tendant à assimiler le Covid-19 à un événement de force majeure -comme celle donnée par Bruno Lemaire, ministre de l’économie français lors d’un discours tenu le vendredi 28 février 2020-, ne s’impose pas aux juges, vu que leur indépendance et leur souveraineté sont consacrées par les Constitutions libanaise et française. Les juges prennent leurs décisions en se basant sur les textes de lois et non pas sur les promesses des politiciens.
Indépendamment de la procédure utilisée pour mettre en place les textes de lois provisoires dédiés à cette période, nous pouvons probablement prédire que leur légalité ne sera pas contestée vu leur importance indiscutable. En ce moment, un projet de loi a été voté par le parlement libanais prolongeant les délais judiciaires en raison des circonstances actuelles, nous pouvons espérer voir une loi similaire prolongeant les délais prévus pour les exécutions contractuelles.