The Phoenix Daily

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Liban : une révolution made in China

Une analyse d’opinion d’auteur Edward Sfeir

Octobre 24, 2020

17 octobre 2019, une date qui, depuis un an maintenant a fortement marqué la population libanaise, chargeant l’air d’un parfum d’espoir, de changement et de fraîcheur jamais ressenti auparavant.  Néanmoins, un grand débat se cache derrière cette foule de sentiments : est-ce une révolution ou un mouvement social ? 

Il serait tout d’abord prudent de définir ce que sont un mouvement social et une révolution. 

« Un mouvement social (حراك اجتماعي) représente un groupe de personnes sans chef de file qui procèdent à des manifestations et à diverses actions pacifiques. Le cadre de ces manifestations est généralement extra-institutionnel, et les individus concernés ne visent pas à arriver au pouvoir contrairement aux partis politiques. 

A contrario, les révolutions ثورات)) sont des manifestations souvent violentes visant à faire l’impossible pour mettre en déroute un système politique. » explique Dr. Tarek Mitri expert en sciences politiques. 

Les exemples des révolutions les plus célèbres de l’Histoire restent sans doute la Révolution Française de 1789 et la Révolution Bolchévique de 1917. En effet, lors de ces deux dates, l’Histoire note des violences sans précédent aussi bien de la part des instances officielles que de la part des populations. 

Suite à une révolution, on s’attend très souvent à voir un changement important, celui-ci étant qualifié de radical. 

Par définition, un changement radical est un bouleversement de la situation en vigueur vers une autre totalement différente. Mais cette « situation différente » peut-être pire que la précédente, ; comme il a été le cas de la Révolution Bolchévique : le peuple éradiqua la tyrannie de la famille royale pour que s’impose le despotisme du communisme. 

Un mouvement social par contre peut soit se transformer en révolution, soit donner naissance à une révolution soit sonner l’alarme dans le système qui se met à enchaîner les réformes pour éviter un renversement de situation. 

Au Liban, la sonnette d’alarme a effectivement été enclenchée mais pas pour les réformes ; elle l’a plutôt été pour mieux diviser la population, et parvenir à éradiquer le mouvement, ce qui a malheureusement porté ses fruits et arraché la sonnette.

 

Un peuple, un but, un pays, désunis contre tous !

L’unité des peuples n’a jamais été très à la mode au sein du monde arabe, et le pays des Cèdres n’y fait pas exception ! Cette fois c’est un manque d’unité d’un même peuple, sur une même Terre avec un même but… « Diviser pour mieux régner » est le slogan des dirigeants locaux. 

On dit qu’on peut comprendre une population en analysant ses dictons populaires, et ceux libanais reflètent bien indifférence qui règne dans le pays… Ce qui affirme encore et toujours que le 17 octobre n’était qu’un mouvement social, une sorte de dépression qui a remis les compteurs à  zéro ; et le cycle reprend… 

Les exemples Français et Russe datent, il serait donc astucieux d’introduire un exemple contemporain : la fameuse « Orange Revolution » d’Ukraine ! 

Sans prendre en considération ses résultats, la révolte ukrainienne a bel et bien conduit à un changement politique majeur du pays ! « Nous respirions tous la révolution ; homme, femme, enfants… Tout le peuple était uni contre une seule et même cause ! On dormait dans la rue et on était souvent blessés. » avoue Oleg, un citoyen activiste de la révolution. 

Cette unité parfaite n’a jamais été reproduite au Liban. Les foules étaient souvent dirigées les unes contre les autres pour les détourner de leur but principal. 

Mais les résultats d’un mouvement social sont vitaux pour un pays. Les droits de la Femme ainsi que le rôle social de cette dernière furent mis en valeur, la population avait espoir en ce qui se passait. C’était le cadre parfait pour qu’un chefde file se présente et que le changement commence ; mais non… silence… plus rien… 

Tous retournés à leur vie normale comme si de rien n’était. 

Était-ce donc un simple défoulement ? Pour comprendre tout cela il vous faut connaître le fameux dicton local : « من بعد حماري ما ينبت حشيش » (littéralement : qu’il ne pousse plus d’herbe après le passage de mon âne !) 

Pourquoi un citoyen se fatiguerait-il à défendre les droits des nouvelles générations ? Qu’en a-t-il à gagner ?

Un autre dicton qui illustre la situation serait « غيرك كان أشطر منك» (les autres étaient meilleurs que toi) 

Une nouvelle initiative ? À quoi bon ? Cela finira surement en échec ! 

Ce n’est surement pas avec cette mentalité que l’on forgera une nation… Il est donc impératif de changer la façon dont les libanais perçoivent les choses pour enfin passer à une prise de conscience et commencer à agir. 

D’autre part, la population locale est saturée par la corruption dès son plus jeune âge ; on veut toujours des lois et des codes appliqués et respectés par tous sauf nous-mêmes! 

Il faut des examens de meilleure qualité mais une surveillance plus sévère se révèlerait odieuse. La liste et longue… 

En réalité tout ce qui vient d’être cité a transformé le « tous pour un » en « tous contre tous », chacun étant caché derrière sa faction ou sa religion, chacun se tenant debout et blâmant les autres : la xénophobie générale… Un cahot bien organisé et dirigé par nos chers politiciens !   

 

 

Un an déjà que le 17 octobre a eu lieu et on est toujours à la case départ… Les violences subies à Beyrouth en 2019 et 2020 sont comparables à celle qui ont lieu en Biélorussie de nos jours… Mais le peuple n’a pas renoncé devant la brutalité et la répression. Il reste déterminé et uni pour un seul et même but : changer l’amère réalité et faire chuter le gouvernement. Les choses restent certes floues mais la volonté de faire est là et ne fait qu’augmenter avec le temps. 

Pour notre pauvre Liban, il a suffi au contraire d’une seule dose de morphine pour éradiquer tout signe de vie de plonger le pays dans un sommeil profond… 

La presse elle aussi a joué un rôle important dans les révolutions Ukrainienne et Biélorusse; une presse indépendante qui faisait office de voix du peuple. 

Au pays des merveilles par contre, la presse était souvent du mauvais côté et traduisait à sa guise les actions qui se déroulaient en ajoutant ça et là ce qu’on lui demandait afin de mieux contrôler les citoyens. 

C’est pour toutes ces raisons que les évènements au Liban se limitent au mouvement social, encore très loin de devenir une révolution… 

Ce serait plutôt un cocktail d’évènements qui n’a fait qu’aboutir à une énorme explosion aussi bien morale que physique lors du 4 août 2020. 

Si les Libanais veulent la liberté, c’est avec les armes qu’ils devront l’obtenir… 

 

Mais un livre restera une arme bien plus redoutable qu’un revolver.