L’atemporelle pandémie de la violence conjugale: Partie 2

Analyse juridique de Nour Lana Sophia Karam, rédactrice et Anna Margerin, rédactrice

Janvier 24, 2021

Chaque année, « environ 243 millions de femmes et de filles âgées de 15 à 49 ans sont victimes de violences physiques ou sexuelles d’un membre de leur entourage proche ». 

Il arrive aussi, mais plus rarement, que des hommes fassent également face à des sévices conjugaux, sans pour autant qu’un chiffre exact ne soit recensé en la matière. 

Si des efforts monstres sont déployés dans la plupart des États pour remédier à ce fléau, il n’en demeure pas moins que, depuis l’apparition du coronavirus et l’annonce de confinements successifs à travers le monde, les chiffres doivent désormais être revus à la hausse. 

Spectre des violences conjugales, l’épidémie de la Covid-19 n’aura fait que les exacerber davantage. 

En effet, un grand nombre d’hommes et de femmes se retrouvent à la merci de conjoints violents; confinés malgré eux dans un foyer qui s’apparente plutôt à un pénitencier. 

Rongées par la peur, ignorées par une société globalement patriarcale, les femmes surtout sont les victimes silencieuses de la crise sanitaire actuelle. 

Zoom sur la réalité de la violence conjugale de la France à la Russie en passant par l’Union Européenne et le Liban.  


•La violence conjugale en France : passage au laminoir

En mars dernier, l’annonce du confinement par le Président de la République française, Emmanuel Macron, n’a pas eu la même saveur pour tous les Français : les signalements de violences conjugales ont augmenté de plus de 30% dès la première semaine. L’enfermement des familles et des couples dans un espace restreint, sans « échappatoire » a provoqué une recrudescence de comportements violents dans de nombreux foyers. La hausse du nombre d’appels est d’autant plus étonnante qu’il n’est souvent pas envisageable pour les victimes, de passer un appel dans le même espace que leur(s) agresseur(s). Selon un rapport de la MIPROF (Mission Interministérielle pour la Protection des Femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains), la plateforme de signalement a reçu 44 235 appels : c’est le triple par rapport à l’année 2019. Il n’est pas encore possible de savoir si cette triste constatation s’est de nouveau produite durant le second confinement de cet automne.

Les violences conjugales - que ce soit à l’encontre des femmes ou des hommes - demeurent malheureusement trop fréquentes au sein des foyers et ce, malgré le tabou qui pèse dessus. Au-delà de tous les secrets de famille inavoués sur la place publique, il n’est pas rare que les journaux consacrent des rubriques entières à des « faits divers ». Au travers de cette formulation - révélant tout le caractère sexiste des violences conjugales - les journaux ou autres médias d’information contribuent à la banalisation des violences contre les femmes puisque qu’il s’agit, non pas de « faits divers », mais d’homicides volontaires, d’assassinats souvent prémédités. Il convient ainsi de comprendre pourquoi les violences sont généralement sexistes : pourquoi parle-t-on d’agresseur au masculin et de victime au féminin ? 

En réalité, les hommes sont aussi victimes de comportements violents par leur conjoint(e). Selon une enquête CVS (Cadre de Vie et Sécurité) de l’Insee en 2019 (portant sur l’année 2018 et synthétisée dans cette lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes), 28% des victimes de violences conjugales ou sexuelles sont des hommes. Cela représente 213 000 femmes contre 82 000 hommes. D’autant plus que les chiffres sont probablement biaisés à cause du tabou qui pèse sur les hommes victimes de violences. Dans la même période, en 2018, 121 femmes et 28 hommes ont été tués par leur conjoint(e). Bien que les chiffres soient énormes pour les deux genres, il faut préciser que plus de la moitié des hommes tués étaient violents envers leur compagne. Ces données chiffrées révèlent, non seulement le cauchemar que les victimes doivent vivre, mais également toute l'ambiguïté de la justice pour statuer dans certaines affaires de meurtres commis par des conjointes elles-mêmes victimes de violences. Ainsi, Jacqueline Sauvage, condamnée à 10 ans de réclusion criminelle en 2015 pour l’homicide volontaire de son mari violent, a été graciée en 2016 par François Hollande. Son histoire dramatique a trouvé tellement d’écho dans les voix des autres femmes qu’elle est devenue un symbole de la lutte contre les violences conjugales.

Ces données chiffrées, issues de l’enquête CVS de l’Insee publiée en 2019, démontrent la proportion majoritaire de femmes qui sont tuées par leur conjoint. 

Ces données chiffrées, issues de l’enquête CVS de l’Insee publiée en 2019, démontrent la proportion majoritaire de femmes qui sont tuées par leur conjoint. 

Certes, les hommes sont également, victimes de violences physiques ou psychologiques, de comportements agressifs et d’insultes. Pour autant les chiffres sont formels : les victimes sont majoritairement féminines. D’autant plus qu’ils n’incluent pas toujours tous les comportements agressifs des hommes envers les femmes lorsqu’ils sont moins « graves » et moins visibles. Dans un article intitulé « Violences conjugales : genre et criminalisation », François Bonnet, un journaliste français, écrit : « Plus on élargit la définition de la violence pour inclure le harcèlement et les violences psychologiques, plus la part des femmes violentes augmente, pour atteindre la majorité des faits les moins graves – c’est-à-dire les plus nombreux ». L’enquête CVS -établie par l’Insee en 2019 (sur l’année 2018) - précise effectivement que 80% des femmes victimes de violences conjugales ont déclaré avoir également subi des atteintes psychologiques et des agressions verbales. Il s’agit par exemple de comportements répétés et dévalorisants, d’attitude de jalousie et de possession, d’insultes ou de menaces. Les femmes font donc l’objet d’une violence insidieuse et constante, non pas seulement dans leur lieu de travail ou dans la rue, mais au sein même de leur foyer, par leur conjoint. Il convient, par conséquent, de ne pas minimiser l’acharnement sur les femmes et la souffrance qu’elles doivent endurer. Il faut prendre en considération le sexisme qui sous-tend les violences conjugales pour comprendre la permanence des comportements violents des hommes envers leur conjointe dans la sphère familiale. 

Dans l’article susmentionné, François Bonnet reprend les thèses de Michael P. Johnson, un sociologue américain, pour rejeter complètement l’idée de « symétrie de genre » au sein des violences conjugales. Il distingue, effectivement, la « violence commune des couples » du « terrorisme intime ». La « violence commune des couples », d’une part, désigne les disputes qui dégénèrent et tournent mal, souvent à cause des difficultés matérielles et de l’alcoolisme. Le « terrorisme intime », d’autre part, matérialise une conception patriarcale des rôles de genre. Alors que la « violence commune des couples » se caractérise par sa parité, le « terrorisme intime » s’exerce exclusivement contre les femmes car il consiste à « rétablir » la domination masculine sur la femme. Les violences conjugales peuvent donc être observées sous un prisme sociologique et structurel. Elles reflètent la persistance du modèle patriarcal dans lequel les hommes dominent les femmes au sein de la sphère intime. Il s’agit d’une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes. Certaines féministes évoquent ainsi une forme de « backlash » de l’émancipation des femmes par rapport à la tutelle maritale.

Les violences conjugales, symptomatiques d’une société encore gangrenée par le sexisme, ne se limitent pas aux violences psychologiques et/ou physiques. Selon l’enquête CVS de l’Insee effectuée en 2019 - reprise dans la lettre de l’observatoire national de violences faites aux femmes - les violences sexuelles concernent 29% des victimes de violences conjugales. Les attouchements ou rapports sexuels imposés par une personne sans le consentement de son/sa partenaire sont des comportements susceptibles de constituer une infraction pénale punie par la loi. En France, l’article 222-23 du code pénal définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, menace ou surprise ». Cette définition juridique s’applique évidemment au viol conjugal puisqu’il est caractérisé par la pénétration et le défaut de consentement. Le viol est un crime puni de 15 ans de réclusion criminelle tandis que l’agression sexuelle est un délit sanctionné de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Le viol conjugal désigne même une circonstance aggravante, loin de soustraire l’agresseur au droit pénal. Depuis la loi du 4 avril 2006, le violeur est en effet plus sévèrement puni lorsque les faits sont commis sur sa conjointe, peu importe s’ils sont mariés, pacsés ou concubins. L’article 132-80 du code pénal inclut également l’ex-conjoint. Ce dernier peut encourir jusqu’à 20 ans de prison. La charge de la preuve est également moins lourde pour la victime : la jurisprudence considère, par exemple, que l’acte sexuel commis sur la conjointe pendant son sommeil constitue un viol. 

Plus globalement, le législateur élabore de plus en plus de lois protectrices pour les femmes. La loi du 9 juillet 2010 crée un délit de harcèlement au sein du couple. Il est défini par l’article 222-33-2-1 du code pénal comme « le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Il est, désormais, puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 ou 75 000 euros d’amende selon la durée de l’ITT (Incapacité Totale de Travail). Cette loi autorise d’autre part le port du bracelet électronique pour les ex-conjoints violents. De plus, la loi du 27 février 2017 prévoit un allongement des délais de prescription, permettant aux victimes de faire appel à la justice même plusieurs années après avoir été harcelées, violentées ou violées par leur conjoint ou ex-compagnon. 

Cependant, cet arsenal judiciaire reste largement insuffisant. Selon la synthèse du rapport de l’inspection générale de la justice sur les homicides conjugaux (commis entre 2015 et 2016), 41% des victimes d’homicides conjugaux qui avaient déjà subi des violences ou des menaces, l’avaient antérieurement signalé aux forces de l’ordre ou au parquet. Sans prendre en compte les mains courantes, 70% des plaintes déposées ont été transmises au parquet ; parmi celles-ci, 80% ont été classées sans suite ; 50% des plaintes restantes ont donné lieu à un simple rappel à la loi. Face à ce constat aberrant, il faut en outre ajouter que plusieurs homicides ont eu lieu alors que l’auteur des faits avait l’interdiction d’approcher la victime ou de se rendre à son domicile. Ainsi, les mesures d’éloignement sont insuffisamment garanties par les forces de l’ordre, révélant la mauvaise articulation des services judiciaires et policiers.  

C’est pourquoi la loi du 28 décembre 2019 permet au juge des affaires familiales de prendre une ordonnance de protection dans le délai de 6 jours maximum, avant même que le processus juridique ne se soit enclenché. Cela permet aux victimes d’être protégées avant que le dépôt de plainte n’ait été enregistré et les encourage donc à demander de l’aide aux autorités. L’enquête CVS de l’Insee en 2019 (sur l’année 2018) démontre effectivement que 73% des victimes qui déclarent subir des violences conjugales n'entreprennent pas de démarches auprès des forces de l’ordre. 

Enfin, dans le cadre normatif existant, la loi du 30 juillet 2020 incorpore d’une part l’inscription automatique au fichier judiciaire des auteurs des infractions les plus graves, et d’autre part la levée du secret médical lorsque les violences mettent en danger immédiat la vie d’une personne sous emprise psychologique et physique. 

Si les gouvernements successifs tentent d’adapter la réponse pénale aux violences conjugales - dans leur acception la plus large - l’inscription du terme « féminicide » dans le code pénal a récemment défrayé la chronique en France. Avant de s’étendre sur la définition exacte du « féminicide » et des implications de son insertion éventuelle dans le champ normatif, il convient de rappeler le nombre ahurissant d’homicides dirigés contre les femmes dans la sphère familiale ou conjugale. En 2016, 130 femmes, en 2017, 143 femmes, en 2018, 120 femmes, en 2019, 153 femmes, en 2020, 98 femmes ont été assassinées par leur conjoint ou ex-compagnon. Le “fëminicide” - au-delà des discussions sur sa formalisation juridique - recouvre une réalité très sombre et morbide. 

Des militantes féministes lyonnaises mettent en lumière les violences conjugales et les féminicides par leurs collages, en réaction au traitement médiatique encore insuffisant.

Des militantes féministes lyonnaises mettent en lumière les violences conjugales et les féminicides par leurs collages, en réaction au traitement médiatique encore insuffisant.

Le terme « féminicide » est prononcé pour la première fois en 1976 à Bruxelles au sein du Tribunal International des Crimes contre les Femmes. C’est Diana Russel, une sociologue et militante féministe sud-africaine, qui théorise ce concept. Elle estime qu’un terme spécifique est nécessaire pour désigner le « meurtre de femmes par des hommes motivés par la haine, le mépris, le plaisir ou le sentiment d’appropriation des femmes ». Il s’agit du meurtre de femmes en raison de leur condition féminine. Autrefois réservée aux cercles féministes, la notion même de « féminicide » semble s’inviter dans la presse et les autres médias d’information. En revanche, elle peine à s’imposer dans le vocabulaire judiciaire. 

Depuis la suppression du « crime passionnel » en 1975 - qui minimisait la gravité de l’acte - le code pénal ne comporte aucune terminologie spécifique pour évoquer le crime dans le cadre conjugal. C’est la déclaration de Charlotte Beluet, procureure d’Auch, en août 2019 qui a relancé le débat sur la pertinence du terme « féminicide » dans le domaine juridique et répressif. Interrogée par Le Monde, elle déclare qu’il faut « nommer les choses » et « montrer que [le meurtre d’une femme commis par un homme] n’a rien de romantique ». Elle considère que l’idée de crime basé sur le genre est loin d’être dénué de sens puisqu’elle poursuit ainsi : « Elle veut le quitter, il ne veut pas car il se croit propriétaire de sa femme ; le meilleur moyen de continuer à posséder quelqu’un, c’est de le tuer ». Dans une tribune, les proches de 35 femmes victimes tuées par leur conjoint réclament l’inscription du terme « féminicide » dans le code pénal « en tant que crime machiste et systémique : ces femmes sont tuées parce que ce sont des femmes, par des hommes qui pensent avoir un droit de vie ou de mort sur elles ». En somme, les défenseurs de l’utilisation du terme « féminicide » dans le vocabulaire judiciaire estiment que cette qualification juridique permettrait au droit d’appréhender une réalité sociale afin de prendre en compte la spécificité de ces meurtres au caractère systémique et au mobile misogyne. 

Néanmoins, l’introduction d’un tel terme dans le code pénal soulève des critiques et une circonspection assez unanime chez les juristes et notamment les pénalistes dont Adélie Jeanson-Souchon, pénaliste et autrice d’un article à ce sujet. Tout d’abord, la définition du « féminicide » est largement insuffisante. Le mobile sexiste d’un crime ne concerne pas tous les crimes commis dans la sphère conjugale et s’étend en dehors de ce cadre. D’autant plus qu’il est complexe de rapporter la preuve d’un tel élément constitutif : il semble assez difficile de décortiquer le mobile d’un homicide pour en isoler la dimension sexiste. Or, il est indispensable que le code pénal soit précis en raison de son caractère répressif. Il doit effectivement satisfaire au principe fondamental de la légalité des délits et des peines selon lequel chacun doit avoir connaissance de ce qu’il peut faire sans enfreindre la loi. De plus, l’inscription du terme « féminicide » ne doit pas être dépourvue d’effets juridiques dans la mesure où la loi - surtout pénale - doit toujours avoir une valeur normative, et non pas simplement déclarative. 

Ensuite, il faut songer aux conséquences juridiques de l’ajout de la catégorie de « féminicide » parmi les homicides. Dans un avis de 2016, la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) rappelle la prévalence du principe d’égalité devant la loi contenue dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 :  « L'introduction du terme « féminicide » dans le code pénal ne semble pas opportun, dans la mesure où elle comporterait le risque de porter atteinte à l’universalisme du droit et pourrait méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale, dès lors qu’elle ne viserait que l’identité féminine de la victime ». Cela signifie qu’un crime commis sur une femme ne peut pas être plus grave que celui commis exactement de la même manière sur un homme.  

Enfin, de nombreux juristes s’insurgent contre l’introduction du terme « féminicide » dans le code pénal. Il serait inutile, voire « contreproductif » selon l’avocate Caty Richard, dans un entretien du Parisien. Dans ce même entretien, Anne-Sophie Wallach, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, insiste en affirmant qu’il « n’y a pas de vide juridique ». Alors que l’article 221-1 du code pénal dispose que « le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre et est puni de 30 ans de réclusion criminelle », les circonstances aggravantes déjà existantes peuvent étendre la peine encourue à la perpétuité. En effet, l’article 132-77 érige le mobile sexiste comme circonstance aggravante tandis que les articles 221-4 et 132-80 du code pénal aggravent la peine lorsque l’infraction est commise par un conjoint ou ex-compagnon. 

Dans un entretien avec Le Parisien, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité hommes-femmes de 2017 à 2020, ne fermait pas la porte à l’inscription de « féminicide » dans le code pénal. Toutefois, cette déclaration ressemble à un simple effet d’annonce juste avant le Grenelle des violences conjugales de septembre à novembre 2019. Certains discours politiques promettent parfois de résoudre un problème sociétal très profond avec de nouvelles lois et de nouveaux instruments répressifs. Or, ils masquent ainsi les véritables lacunes juridiques en la matière. Comme il a déjà été indiqué ci-dessus, les signes avant-coureurs des féminicides sont rarement pris en compte ; de même que les outils juridiques - bien qu’existants - ne sont pas toujours mis en œuvre efficacement. De fait, les victimes devraient bénéficier de mesures de protection plus rapidement pour les inciter à signaler leur situation aux autorités de police, les juges devraient pouvoir prendre des mesures de protection plus efficaces et les forces de l’ordre devraient davantage assurer leur application. 

Pour lutter efficacement contre les violences conjugales, il convient de mettre en exergue, à la fois, le dispositif répressif et le caractère sexiste des violences conjugales puisqu'elles constituent le témoin des dynamiques patriarcales qui régissent encore le fonctionnement de nos sociétés. La lutte contre les violences conjugales doit s’effectuer, certes devant le juge pénal, mais aussi et surtout au travers de plusieurs politiques publiques d’éducation et de sensibilisation (notamment au travers des campagnes de collages dans les grandes villes françaises). Il s’agit, avant tout, de dénoncer un phénomène structurel en élaborant des réflexions sur les rapports de domination basés sur le genre afin de les remettre en question et de les renverser. En définitive, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) conclut, dans son avis publié en 2016, que l’usage du terme « féminicide » n’est pas recommandé dans le code pénal mais qu’il « doit être encouragé, à la fois, sur la scène internationale dans le langage diplomatique français, mais aussi dans le vocabulaire courant, en particulier dans les médias »

Il faut effectivement continuer à mettre la lumière sur les violences conjugales en tant que manifestation concrète de la domination masculine sur les femmes pour les combattre.

•L’Union Européenne, fer de lance de la lutte contre les violences conjugales ?

Selon un article du Figaro, l'augmentation des violences conjugales pendant le confinement ne s’est pas circonscrite à la France. À l’instar des plateformes françaises de signalement des violences intrafamiliales, les services d’urgence à travers l’Europe ont enregistré une hausse de 60% des appels pendant cette période troublée. Néanmoins, certains pays européens ont une stratégie plus efficace que la France en matière de lutte contre les violences conjugales.

Dans un premier temps, l’Espagne est un modèle du combat contre les violences machistes et les féminicides. D’emblée, l’opinion publique est marquée, très tôt, par le destin tragique d’Ana Orantes : elle est assassinée par son ex-mari en 1997, deux semaines après son allocution à la télévision dans laquelle elle racontait son calvaire. Il y a, de fait, une conscientisation énorme du problème des violences conjugales. Cette prise de conscience sociétale entraîne des réformes législatives dans les années 2000 assez avant-gardistes par rapport aux autres pays européens. Dès 2004, les personnels (magistrats, forces de l’ordre, médecins) doivent se soumettre à une campagne éducative en contact avec les femmes victimes. D’autant plus que ces dernières font l'objet de mesures de soutien juridique, économique et psychologique. Les juges sont également contraints d’instruire les requêtes dans un délai de moins de 72 heures pour garantir la célérité de la procédure et la protection des victimes. Ainsi l’Espagne et l’Italie font-elles partie des seuls États qui ont reconnu le féminicide dans leur code pénal. Pour autant, les aides (notamment financières) délivrées aux victimes sont subordonnées à une enveloppe déterminée par la majorité au pouvoir en Espagne alors même que le pays traverse une crise politique depuis des années. Quant aux Italiens, le tabou est encore très prégnant puisqu’une infime partie des femmes se déclarant victimes de violences font des démarches pour signaler leur situation aux forces de l’ordre. 

Du côté des Britanniques, Theresa May a soumis un projet de loi contre les violences conjugales quinze jours avant de démissionner. Il permet une reconnaissance légale des violences conjugales et la mise en place de sanctions dédiées. Toutefois, il intervient non seulement très tardivement mais il lui est également reproché de délaisser les femmes arrivées illégalement au Royaume-Uni. En effet, une femme sud-américaine battue par son mari de nationalité anglaise a exposé la complexité de sa situation dans un entretien au Independant : alors qu’elle a quitté son domicile et demandé de l’aide aux forces de l’ordre, ils n’ont pas pu recueillir sa requête car sans conjoint, elle ne pouvait plus bénéficier de son droit de séjour et se retrouvait en situation illégale. Le défaut de protection pour ces femmes a soulevé la critique et donné naissance au mouvement « Step Up Migrant Women ».

Grands perdants de l’Union Européenne, les pays du Nord se détachent distinctement des autres États membres. Selon une récente étude d’Eurostat, la Finlande et la Roumanie comptabilisaient, en 2017, un taux de mortalité des femmes tuées dans la sphère intime environ 2 fois supérieur à celui de la France ; et presque 3 fois supérieur à celui de l’Espagne et de l’Italie. 

Ce graphique illustre le classement des pays européens en matière de lutte contre les violences conjugales.

Ce graphique illustre le classement des pays européens en matière de lutte contre les violences conjugales.

L’Union Européenne tente finalement d’uniformiser le traitement pénal des victimes sur le territoire européen. À cet égard, le Conseil de l’Europe élabore une Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique à Istanbul en 2011. Entrée en vigueur en 2014, cette Convention définit et érige certaines formes de violences contre les femmes en infractions pénales. Néanmoins, elle ne parvient pas à résoudre l'hétérogénéité des situations des États membres en matière de répression des violences conjugales. 

En d’autres termes, l’Union Européenne peine à imposer une réglementation commune pour lutter contre les violences conjugales et protéger les femmes qui en sont victimes.

Un programme de partenariat exclusif pour la coédition articles et analyses de droit de ELSA, Lyon et The Phoenix Daily

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