Nos animaux, votre responsabilité Étude de cas : Le sort des animaux domestiques au Liban face au Covid-19

Une analyse, Nour Lana Sophia Karam, auteur

Lundi 27 Avril 2020

« Allez Odin, tu peux le faire ! Allez, crache ! ». 

C’est sur ces derniers mots de ses malheureux maîtres et malgré l’acharnée tentative de réanimation de son vétérinaire qu’Odin succomba dans la nuit du 28 mars 2020, après avoir innocemment ingéré une quantité de viande empoisonnée, insensiblement posée par des individus sans scrupules dans un coin du jardin privé dans lequel il passait habituellement son temps. 

Circulant sur les réseaux sociaux, la vidéo de l’agonisant berger allemand a suscité de vives émotions chez les amoureux des animaux lesquels dénonçaient, pour la plupart d’entre eux, l’irresponsabilité des autorités compétentes ; tandis que d’autres se plaignaient du manque d’application de sanctions appropriées en cas de mauvais traitement des animaux.  

« L’affaire Odin » est malheureusement loin d’être la seule en son genre puisque se multiplient en ce moment les cas de maltraitance animale. Qu’ils soient provoqués par des initiatives individuelles ou d’autres collectives -les municipalités jouant souvent un rôle malveillant en l’espèce, comme celle du village de Btoutarij dans la région de Koura qui s’engagea à partir du 18 mars 2020 à « éliminer » tous les animaux errants-, ils se résument en deux grandes catégories : l’abandon, sorte de maltraitance indirecte, et l’empoisonnement, qui lui, se borne à faire souffrir directement d’innocentes âmes.

 

Dans notre pays surchauffé par la fièvre et l’angoisse entourant la dissémination du Covid-19, les libanais cèdent à la panique face aux infox relayées par internet, parfois appuyées à tort par la télévision locale. C’est ainsi que dans un reportage diffusé sur la MTV le samedi 28 mars 2020 -cette date coïncidant avec la mort d’Odin- la journaliste Joyce Akiki souleva un tollé. Cette dernière, discutant avec un épidémiologiste libanais du cas d’un chat belge qui avait contracté une forme du coronavirus par son maître, quémandait aux téléspectateurs de traiter leurs animaux domestiques de la même façon que les humains en ces temps de crise sanitaire puisque ceux-ci, selon ses dires, pouvaient être « potentiellement » dangereux. La chaîne libanaise ne se basa sur aucune étude scientifique afin de corroborer les informations véhiculées au public.

Les ONG de protection des animaux -telles BETA, Animals Lebanon, et APAF-, un grand nombre de vétérinaires ainsi que des particuliers sensibles à nos amis poilus, se révoltèrent face au manque de professionnalisme de la MTV dont le reportage causa de fâcheuses conséquences sur le sort de tous les chiens et chats libanais, en grande partie déjà négligés depuis un moment.  

En effet, la violente crise économique dont le fardeau pèse lourd sur les épaules du Liban depuis Octobre 2019 ne permet que très peu à la majorité des libanais de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, les conduisant ainsi à se débarrasser de leurs chiens et/ou chats des façons les plus inhumaines qui soient : les faire mourir de faim et de soif, les javelliser, les jeter depuis leurs balcons ou encore -ce sont les pratiques les plus usitées- les abandonner dans la rue ou les empoisonner en intégrant à leur nourriture produits pesticides et rodenticides de toutes sortes. La pratique de l’empoisonnement est aussi en vogue au sein de nombreuses municipalités libanaises qui croient faussement que chiens et chats seraient des vecteurs du coronavirus. Odin en a été injustement une victime.

Le lendemain du reportage, la journaliste disgraciée se justifia sur sa page Facebook en affirmant qu’elle avait été mal comprise et que son message avait été mal reçu. Elle se dégagea ainsi de sa responsabilité. Depuis, le reportage a été supprimé mais c’était déjà trop tard, le mal était déjà fait et la panique avait déjà été semée.

 

Rappelons que les hautes instances sanitaires, telles l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) ainsi que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) ont affirmé à plus d’une reprise que l’hypothèse de transmission du Covid-19 de l’animal domestique à l’homme était écartée. 

Nous lisons noir sur blanc sur le site de l’OMS qu’« à ce jour, rien ne prouve que les animaux de compagnie, tels que les chiens ou les chats, peuvent transmettre le COVID-19. La maladie se transmet principalement par les gouttelettes expulsées par les personnes infectées quand elles toussent, éternuent ou parlent.»

 

Le docteur Ihab Chaaban, président de l’ordre des vétérinaires libanais, publia un avis le 31 mars 2020 dans lequel il qualifia les faits de tuer, d’empoisonner, ou de maltraiter les animaux de « crimes contre l’humanité » punissables par la loi nº47/2017 -loi relative à la protection et le bien-être des animaux- d’emprisonnement et d’amende. Il s’engagea aussi à poursuivre ceux qui commettraient de pareils actes. 

 

Sur la même lancée, le ministre de l’intérieur, Mohammad Fahmy, publia une circulaire le 22 avril 2020 dans lequel il incita les municipalités à se conformer à la loi de protection des animaux. Celle-ci, dans son article 4, interdit expressément « à toute personne physique ou morale de causer aux animaux toute détresse, douleur, ou peine, et de les exposer au danger ou à la torture. ». En cas de violation aux dispositions de cette loi, une amende variant de trois à vingt millions de livres libanaises est prévue, selon son article 26. 

Aux dispositions spéciales de la loi nº47/2017 s’ajoutent également des dispositions tirées d’articles du Code Pénal libanais s’appliquant au cas où des actes de cruauté seraient commis sur des animaux appartenant à autrui : l’article 742 de ce dernier réprime ainsi le fait d’intentionnellement tirer sur des animaux ou de les empoisonner.

Si l’État libanais n’a jamais auparavant vraiment été protecteur de la cause animale malgré l’adoption en septembre 2017 de la loi susvisée, les abandons et les empoisonnements étant habituellement des sujets de controverse qualifiés de piètre intérêt pour la communauté, il semblerait que la donne soit en train de timidement changer sous le gouvernement Diab, la voix des activistes furieux contre les derniers sévices s’étant fait entendre. 

Nos animaux domestiques ne constituent pas un risque pour nous et vous.

C’est au contraire l’Homme qui constitue un risque pour l’animal, en toutes circonstances, mais surtout en cette période particulière de l’histoire. 

Portons sur eux un regard bienveillant comme ils le font si bien. 

 

« On n’a pas deux cœurs, l’un pour l’homme, l’autre pour l’animal. On a du cœur ou on n’en a pas. » Alphonse de Lamartine

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