Une vue panoramique du conflit sur les frontières maritimes - Entre le Liban et la Syrie: Question abordée à travers différentes perspectives analytiques

Analyse de la politique d’opinion de Yara Dally, rédactrice

29 Mai, 2021

Au début du mois de mars 2021, la Syrie a signé un contrat donnant à une entité russe, la "Capital Limited Company", le droit exclusif d'exploration pétrolière « dans le bloc offshore n° 1 de la zone économique exclusive syrienne en mer Méditerranée, au large des côtes du gouvernorat de Tartous, jusqu'aux frontières maritimes syro-libanaises, sur une superficie de 2 250 kilomètres carrés » en mer Méditerranée, selon le contrat signé.

La durée du contrat est divisée en deux phases : la première consiste en une période d'exploration et devrait être d'une durée de quatre ans, à compter de la signature du contrat. Il est toutefois possible de la prolonger de trois années supplémentaires à la demande de l'entreprise, conformément au contrat. Ensuite, la deuxième période, appelée phase de développement et de production, est estimée à 25 ans et peut être prolongée de cinq ans. 

D'après la carte de la Figure 1. ci-dessous, le bloc n° 1 de la zone économique exclusive syrienne chevauche une partie importante de la zone économique exclusive libanaise, plus précisément les blocs n° 1 et n° 2, pour une superficie maritime totale d'environ 750 kilomètres carrés.


Figure 1

Figure 1

Un événement historique 

L'affrontement entre le Liban et la Syrie sur la frontière maritime n'est pas nouveau. En 2010, le Liban a identifié unilatéralement le point n°6 de la frontière nord et a signalé sa coordination aux Nations Unies. De plus, en 2011, le Liban a corrigé ses rapports de 2010 en fixant le point n° 7 et les Nations Unies ont été informées par la suite grâce à un suivi minutieux. 

C'est entre les années 2010-2012 qu'il y a eu une coordination écrite discutant de la nécessité et de l'urgence de négocier la délimitation de la frontière maritime entre le gouvernement libanais et le gouvernement syrien via leur ministère de l'énergie et de l'eau. Il convient de noter qu'en 2012, le gouvernement libanais a reporté la prise de décision concernant la délimitation de la frontière maritime avec le gouvernement syrien. Cela était probablement, et pourtant incontestablement, pour des raisons et des circonstances politiques – à l'époque, la position du Liban envers la Syrie dans le contexte de la guerre interne de cette dernière en 2011 manquait de clarté.

Malgré tout, en 2013, le Liban avait commencé son premier tour d'enchères sur les blocs libanais de sa zone économique exclusive pour les entreprises dans le but de commencer à investir pour l'exploration pétrolière et gazière. L'un de ces blocs choisis, était le bloc n° 1 le long des frontières nord avec la Syrie et le bloc n° 4 –ainsi que les blocs n° 8, 9 et 10 le long des frontières sud avec la Palestine occupée. Comme on pouvait s'y attendre, le Liban n'ayant pas encore finalisé la délimitation de sa frontière maritime avec la Syrie, une objection de ce dernier a été apportée en 2014 par Bashar Jaafari, représentant permanent syrien auprès de l'ONU. « La délimitation des frontières du Liban est venue par décret, qui est une législation interne émise en vertu des lois nationales libanaises, et elle n'a aucun caractère obligatoire », a noté Jaafari. 

Après l'objection mentionnée ci-dessus, le Liban et la Syrie comptaient se rencontrer, négocier et conclure la démarcation des frontières – mais sans résultat final formel car cette question n'a jamais été mentionnée par le Conseil des ministres.

Aujourd'hui, quelles actions ont été entreprises ? 

Du 9 avril au 11 avril, aucune mesure officielle n'a été prise par les autorités libanaises. 

Lors d'une conversation et d'un entretien exclusifs avec S.E. Ghady El Khoury, ambassadeur et directeur des affaires politiques et consulaires au ministère des Affaires étrangères du Liban, le retard dans la réponse a été évoqué. El Khoury déclare au journal The Phoenix Daily qu'aucun document officiel n'avait été envoyé au ministère des Affaires étrangères à cet égard, et que par conséquent, une réponse n'est pas recevable sans documents en mains. En effet, les autorités libanaises avaient été averties par un journaliste qui avait présenté au ministère des Affaires étrangères le contrat russe. 

Le 12 avril 2021, une lettre invitant l'homologue syrien à entamer des discussions sur la délimitation des frontières a été envoyée car il s'agit de l'intérêt des deux parties concernées.

Le 13 avril 2021, le ministre libanais des Affaires étrangères, M. Charbel Wehbe, a remis le mémorandum à l'ambassadeur de la Syrie au Liban, M. Ali Abdul Karim.

Cependant, « Il n'y a pas vraiment de raison de paniquer », déclare El Khoury au Phoenix Daily, « Il y a une raison d'aborder cette question sérieusement, et si nous opérons dans la panique, nous sommes plus susceptibles de commettre une erreur », ajoute l'ambassadeur et directeur des affaires politiques et consulaires au ministère des Affaires étrangères du Liban.

En référence à la déclaration de M. El Khoury, Mme Laury Haytayan – experte libanaise en pétrole et gaz de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord (MENA) et actuelle directrice de l’Institut de gouvernance des ressources naturelles – déclare en exclusivité au Phoenix Daily qu' « Il est illogique que le gouvernement libanais ait été informé de cette affaire par les médias, nous ne sommes pas deux pays en conflit comme c'est le cas avec notre ennemi Israël ».

Haytayan a ajouté que "Le Liban a son propre ambassadeur en Syrie, et ses fonctions minimales sont de rapporter au Liban toute question ou problème lié au Liban. Ce contrat a été finalisé il y a un an et, récemment, le 1er mars, le parlement syrien a adopté la loi » au début du mois dans une interview avec le Phoenix Daily.

L'authenticité douteuse de Capital, la société russe 

Par ailleurs, « Capital », la société russe chargée par la Syrie de l'exploration pétrolière, est un nouveau nom dans le secteur du pétrole et du gaz. Les activités de la société dans ce secteur ne sont pas encore claires et sont à peine connues. Il y a seulement quelques années, qu’elle a été créée, en 2017 avec son siège à Saint-Pétersbourg en Russie, et est enregistrée au registre du commerce russe sous le numéro 7806294969. De nombreux experts affirment que le manque d'expérience dans le secteur et d'histoire de la société suscite des inquiétudes quant à sa légitimité et son authenticité. En fait, il n'est pas injuste de s'interroger sur la possibilité qu'elle ne soit qu'un rideau de fumée pour des personnes d'influence politique, qu'elles soient syriennes, russes ou même libanaises. Indépendamment de toute corruption ou politique sale liées à cet accord, ce qui importe pour le Liban, c'est qu'une société comme Capital, sans expérience préalable, peut ne pas adhérer aux lois et normes juridiques internationales. En particulier en ce qui concerne le cadre juridique international qui stipule que dans tous les contrats d'exploration pétrolière et gazière, l'exploration est interdite dans les zones classées comme zones contestées. 

Si ces spéculations s'avéraient exactes, rien ne pourrait dissuader Capital, en tant que société désignée par la Syrie pour l'exploration pétrolière, d'explorer la zone contestée, et donc le chevauchement de 750 kilomètres carrés avec la zone économique exclusive libanaise. 

Une perspective géopolitique

Dans le même temps, nous sommes également en conflit diplomatique permanent avec la Palestine occupée en ce qui concerne nos frontières maritimes méridionales. Dans les frontières méridionales, où l'exploration commence, le gouvernement syrien a également chargé une société russe de l'exploration pétrolière.

Simultanément, un accord diplomatique récemment annoncé entre la Grèce, Chypre et la Palestine occupée, est apparu après 10 longues années de négociations. L'accord fait suite aux fortes tensions dans la zone maritime située juste à côté du Liban, et les négociations ont abouti à un accord sur le partage des frontières entre les trois pays. Cet accord est motivé par la volonté politique d'accélérer la production du marché commun; Eastern Mediterranean Gas Forum qui est considéré comme un projet d'intérêt partagé dans l'infrastructure énergétique de l'Europe. Les pays bénéficiaires sont les suivants : la Grèce, Chypre, la Palestine occupée, l’Égypte, la Jordanie, la France et l’Italie. Plus la production de chaque pays sera élevée, plus le bénéfice commun sera important, étant donné qu'ils fonctionneront comme un seul marché. 

N’oublions pas la soi-disant nouvelle présence des Russes dans la région, et leur envie d'investir dans les ressources de la région tout en étant proches de leurs adversaires, l'OTAN et l'UE.

Toutes les nations cherchent des moyens d'aller de l'avant et s'efforcent de défendre leurs intérêts à tout prix ; et le Liban reste là, noyé dans ses propres dilemmes politiques, économiques et financiers. M. Gilbert Doumit, associé directeur de Beyond Group et entrepreneur politique, a expliqué au Phoenix Daily que « Ce dont nous sommes témoins aujourd'hui n'est pas un incident, c'est le résultat de plusieurs années de négociations en sous-main entre les acteurs géopolitiques pour cette ressource importante dans la région ».

Selon l'analyse de Doumit, « L'Ouest semble nous pousser à renoncer à nos droits sur les frontières sud, et l'Est voudrait que nous renoncions à nos droits sur les frontières nord, alors que le Liban n'a aucune vision et aucun levier pour négocier ses propres intérêts ».

En fait, « Sur le plan géopolitique, il pourrait y avoir un accord sous-jacent, direct ou indirect, pour imposer au Liban de renoncer à ses droits sur les deux frontières sud et nord, dans le cadre d'un accord qui fait que le Liban finit par en payer le prix », a-t-il encore souligné. 

Au niveau national, M. Doumit est d'avis que « Les élites politiques qui sont loyales envers les acteurs extérieurs plutôt qu'envers les citoyens pourraient vendre nos droits pour plaire à leurs sponsors politiques dans la région, en échange de leur maintien au pouvoir. Ces droits sur nos ressources naturelles sont la richesse que nous voulons transmettre aux jeunes et aux générations suivantes. »

Les mesures à prendre et les alternatives

La négation diplomatique est la solution ultime. Il existe des alternatives mais au niveau international, la saisine de la Cour internationale de justice, du Tribunal international du droit de la mer ou d'autres formes d'arbitrage nécessiterait que les deux États acceptent d'entrer dans une affaire juridique internationale. Il convient de noter que le fait de compter sur la cour internationale est une bonne chose mais malheureusement, par défaut, toutes les affaires ont pris beaucoup de temps ; certaines ont même atteint 30 ans.

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