« Complètement réservé » - Les oasis libanaises florissants dans un contexte de crises superposées

John Sakr, rédacteur

Juillet 29, 2021

La situation au Liban ne semble qu'empirer avec le temps. S'il est vrai que la pandémie de COVID-19 a soi-disant diminué et ne fait plus autant de ravages qu'avant (bien que cela soit maintenant remis en question en raison de la propagation de la nouvelle variante indienne Delta), le pays du Moyen-Orient souffre toujours autant. En plus de l'explosion mortelle qui a eu lieu le 4 août dernier, sans qu'aucune justice n'ait été rendue jusqu'à ce jour, le Liban souffre de coupures d'électricité constantes, ce qui rend la saison estivale de Beyrouth insupportable, en plus de la pénurie de carburant pour les voitures et de la suppression des subventions sur les médicaments de base comme le paracétamol (un analgésique quotidien). De plus, certains médicaments ne peuvent même plus être trouvés au Liban, ce qui laisse les malades et leurs familles dans une course contre la montre, essayant de trouver des personnes venant de l'étranger qui soient prêtes à ramener des médicaments avec elles, ce qui entraîne souvent la mort des patients par manque de moyens, donc de chance. Tout cela se produit en conséquence indirecte de l'effondrement de la monnaie nationale libanaise, qui a atteint un niveau record de plus de 21 900 livres libanaises pour un dollar américain à la mi-juillet 2021. Mathématiquement, il est logique que le prix d'une boîte de 96 comprimés de paracétamol soit de 59 000 livres libanaises, soit près de 3 dollars, alors qu'il y a moins de deux ans, 59 000 livres libanaises équivalaient à près de 40 dollars. Si l'on ajoute à cela le fait que la plupart des salaires n'ont pas changé et restent en LBP, essayer d'y voir clair n'est pas la tâche la plus facile.

Face à des conditions aussi désastreuses, on pourrait s'attendre à des protestations constantes, des troubles civils, une montée en flèche du taux de criminalité et un effondrement silencieux de l'économie. Dans une certaine mesure, c'est le cas : les maisons des ministres sont prises en embuscade, des veillées et des manifestations sont organisées pour les victimes des crimes du régime, et des vidéos circulent sur les médias sociaux qui racontent l'histoire de petits enfants mourant de maladies qui peuvent être soignées avec des médicaments courants et peu coûteux, mais qui ne sont pas disponibles au Liban en raison de la crise.

Ceendant, à quelques rues d'une manifestation, d'une veillée, d'un conflit avec les Forces de sécurité intérieure ou d'une fermeture de route, on peut trouver une boîte de nuit récemment ouverte qui est surbookée malgré ses prix exorbitants. La musique y est si forte que les bruits de tout affrontement sont inaudibles. Les voituriers sont tellement débordés par toutes les voitures de luxe flambant neuves qu'ils doivent gérer, toutes payées en dollars américains « frais », qu'ils en oublient que leur salaire ne peut leur assurer des conditions de vie décentes. Aucun compromis n'est fait lors de l'importation d'aliments ou de boissons, car la qualité reste inchangée et les ingrédients utilisés sont les mêmes qu'auparavant (à l'époque où il était d'usage d'utiliser les mêmes marques qu'un établissement d'une autre économie florissante). Vu l'état actuel du pays, certains pourraient penser que cette expérience de la vie nocturne est inexistante au Liban. Mais c'est là qu'ils se trompent : ils sont bel et bien au Liban ; pas le Liban des médias grand public, mais l'autre Liban, celui qui coexiste en quelque sorte avec le Liban défaillant mentionné ci-dessus : un Liban où tout va plus que bien.

Dans ce Liban, un nombre étonnant d'entreprises ont ouvert leurs portes, ont déménagé ou se sont agrandies après le 17 octobre 2019, une date que beaucoup considèrent comme le début de la chute du pays. Si quelqu'un n'a pas visité le Liban depuis cette date, il pourrait vouloir chercher l'un de ces endroits nouvellement ouverts.

Beyrouth et sa banlieue ont principalement vu l'ouverture de lounges et de « resto-bars », comme Aki, La Mezcaleria, Bar du Port, Bait, Café de Monaco, Alvee, The Blue House, Catrina's Rooftop, Clap, Union Marks et Terre.

Ailleurs, le concept de « Beach bar » a envahi le littoral libanais, que ce soit dans les villes voisines de Byblos ou de Batroun, au nord de Beyrouth, où l'on trouve tous les Kin ouverts en 2020-2021, Isolé, Kina Handcrafted Bar, Voula Lounge, Bar del Mar, Gaïa by the Sea, Ile, Grecco, Atria, Dawn by the sea, Cora, Koya, Boha, Azure, Soléa, Mandaloun, Bahsa, Soult, Bolero et Palms Beach House.

La troisième tendance en vogue observée à travers le pays consiste à explorer ses montagnes, que ce soit par le biais d'excursions en hélicoptère ou en avion privé proposées par l'armée libanaise, ou par le biais d'entreprises beyrouthines qui ouvrent dans les montagnes telles que Picnic by Loris, Ixsir by Montagnou, ou les succursales de Brummana (une ville montagneuse libanaise) des icônes de Beyrouth d'aujourd'hui telles que Roadster Diner, Casper & Gambini's, Niu Bowl et Bartartine.

Il en existe encore beaucoup d'autres, dont la plupart se trouvent dans la ville de Batroun, au nord du pays, qui connaît un essor sans précédent.

Selon les principes économiques, lorsqu'il n'y a pas de confiance dans l'économie, les investissements ne sont pas réalisés aussi facilement et rapidement qu'en période de prospérité. Logiquement, les entreprises ferment leurs portes et de nouvelles n'ouvrent pas. L'économie libanaise s'est tellement contractée que les citoyens doivent plaider et supplier pour mettre la main sur leur propre argent, en livres libanaises, dans les banques. Pourtant, si l'on plaçait quelques chaises et tables dans un endroit éloigné de Beyrouth (puisque les gens veulent s'en échapper), accompagnées d'une musique agréable, il est presque certain que le lieu serait complètement réservé pour les quelques semaines à venir. C'est le cas des 40 lieux mentionnés ci-dessus, à peu près, où le prix par personne n'est pas inférieur à 200 000 livres libanaises et peut aller jusqu'à 1 500 000 livres libanaises. Pour les personnes qui gagnent le salaire minimum libanais, une sortie épuiserait un mois de salaire.

Dès lors, comment se fait-il que ces lieux soient toujours complètement réservés ? Qui est celui qui les réserve ? Pour les étrangers ou les personnes dont les salaires sont en dollars américains, cette gamme de prix équivaut à 10$ - 70$ : c'est tout à fait raisonnable pour une sortie, en comparaison avec Beyrouth en 2019. Cela pourrait expliquer certains de ces phénomènes de Dolce Vita beyrouthins, mais pas tous, puisque les expatriés ne viennent que pendant l'été et les autres « vacances » et que très peu sont ceux qui gagnent leur salaire en dollars (sinon l'UNICEF n'aurait pas affirmé que plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, ni le PNUD que « les 2 % de revenus les plus élevés représentent une part de 17 % du revenu total, tandis que les 59 % les plus bas représentent une part de 22 % »).

Une explication possible est que les Libanais veulent vivre, à tout prix. Si cette mentalité est non durable, il en va de même pour la version brillante et lumineuse du Liban représentée par tous ces lieux et restaurants. S'il est vrai que l'on peut posséder assez de « dollars frais » pour importer des ingrédients étrangers et payer une électricité constante avec des générateurs de secours, comment pourrait-on les importer étant donné les retards constants au port ? Comment payer le carburant des générateurs s'il n'y a plus de carburant qui arrive dans le pays à cause des querelles régionales ? Comment se rendre au Beach bar si des manifestations bloquent les routes qui y mènent ?

Un cercle vicieux se met en place : lorsque le cours du dollar augmente, les prix de la nourriture, des boissons et des « dépenses minimales » dans les commerces augmentent également. À ce jour, cela n'a pas empêché l'ouverture de nouveaux lieux et les gens d'y dépenser leur argent. Néanmoins, la durabilité de ce cycle est remise en question, car deux questions se posent : jusqu'à quel point les restaurants peuvent-ils augmenter leurs prix, tout en équilibrant leur budget et en continuant à recevoir des clients ?

Combien d'argent les Libanais sont-ils prêts à dépenser pour un hamburger ou une bouteille de champagne ?

This article is translated by Mira El Khawand, translator of The Phoenix Daily.

This article was originally published on July 22nd, 2021.

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