La recherche au Liban; mais où sont donc les femmes?
Edward Sfeir, rédacteur
Mars 7, 2021
Chercheuse, chef de département et enseignante, Pr. Zeina Hobaika Khoury a plus d’un tour dans son sac pour faire bouger la recherche dans son pays.
Le 11 février, à l’occasion de la journée mondiale de la femme dans la science et la recherche, la Professeure associée Zeina Hobaika Khoury, chef du département des Sciences de la Vie et de la Terre – Biochimie à la Faculté des Sciences (FS) de l’Université Saint Joseph de Beyrouth (USJ), accorde une entrevue à The Phoenix Daily pour faire découvrir son parcours dans la recherche et la situation actuelle de ce monde qui la fascine au Liban. Une opportunité pour célébrer, ce 8 mars 2021, la journée mondiale de la femme.
Avec 39,8% de femmes dans la recherche, le Monde Arabe, dont le Liban, se démarque de la moyenne mondiale qui culmine à moins de 30% ! « Malgré sa contribution considérable dans l’avancée de la science, malheureusement, la femme est nettement sous-représentée par rapport aux hommes dans la recherche ! », se désole l’enseignante/chercheuse. Les prix Nobels scientifiques (médecine, chimie, physique) n’échappent pas eux non plus à la discrimination, avec moins de 5% de femmes gagnantes. Zeina Hobaika affirme rester positive vis-à-vis de la situation au Liban, où la représentation des femmes chercheuses est assez satisfaisante : un bel exemple est celui de « L’USJ avec 2 vice-recteurs femmes et particulièrement à la FS, avec une majorité féminine aux postes de responsabilité académique ! », confirme-t-elle. Plusieurs initiatives existent pour soutenir la femme chercheuse, telles que « L’Oréal-UNESCO for Women in Science », « دوركنّ »… ainsi que des ONG pour regrouper et soutenir les femmes dans la recherche, comme « باحثات », ou encore des académiques scientifiques internationales, notamment « AGYA ou Arab German Young Academy of Sciences and Humanities », etc. « Nous sommes aujourd’hui en grand besoin de soutien aussi bien gouvernemental que non gouvernemental pour faire avancer nos travaux, qui sont la base de l’amélioration de la vie de l’Homme et de tout être vivant. », lance la chercheuse d’un ton engagé. Dans les quatre coins du monde, les chercheurs font face aux mêmes obstacles, car leurs besoins sont toujours les mêmes : une structure d’accueil, d’un financement, du matériel et des ressources humaines. Mais la situation est relativement différente au Liban, avec la dévaluation massive de la monnaie locale qui rend presque impossible le bon fonctionnement des organismes de recherche et ralentit le travail des équipes de recherche. « Les chercheurs et chercheuses libanais sont d’excellente renommée et sont dotés d’un potentiel énorme. C’est vraiment dommage qu’ils ne soient pas en capacité de profiter de leurs ressources à fond à cause de conditions de recherche difficiles ! », dénonce l’ex-Co-présidente de l’AGYA. Entre une impossibilité de faire des virements bancaires pour assurer son matériel et un budget qui vaut désormais « des cacahuètes », la situation s’avère être impossible.
Spécialisée en structure, fonction et ingénierie des macromolécules et responsable de l’équipe de recherche « Structure et interactions des macromolécules », Zeina Hobaika est une jeune femme libanaise passionnée et impliquée plus que jamais dans la recherche scientifique, avec au compteur déjà 15 années de recherche et la 16ème en cours. Elle porte un grand intérêt à la conception et l’amélioration de molécules inhibitrices à visée thérapeutique (drug design) ; parmi ses projets actuels : les différentes protéines du virus de l’immunodéficience humaine (VIH1), les molécules impliquées dans l’Alzheimer ou dans certains cancers… « Nous œuvrons aussi, avec les doctorants et collègues, à cibler des complexes dits quadruplex G de l’acide désoxyribonucléique (ADN) responsables de divers mécanismes dans le corps tels que le vieillissement, le développement de cancers et même, dans certains cas, la réplication virale ! », expose-t-elle.
Malheureusement, à l’heure actuelle, avec un développement de la situation sanitaire particulièrement désastreux et des confinements à n’en plus finir, la crise de la Covid ne rend pas la vie facile aux chercheurs libanais. Leurs laboratoires fermés, les scientifiques autochtones sont forcés de passer au système D : travaux de bibliographie, calculs, analyses et interprétations, tout se réalise chez soi afin de préparer le retour à la paillasse. « Si la Covid-19 m’a donné une leçon, c’est bien celle d’apprécier chaque moment et jusqu’aux moindres détails : saluer un proche, marcher dans la rue, aller au travail, se réunir en famille… », confie la chercheuse humblement. Avec l’ampleur mondiale qu’a prise la crise sanitaire, la jeune scientifique et les thésardes de son équipe n’ont pas hésité à se pencher sur la question du virus qui attaque l’humanité et à lancer des recherches sur des inhibiteurs des protéines clefs du SARS-Cov-2 (Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2) qui est à l’origine de la pandémie de la Covid-19. Militante comme elle est, Hobaika table aussi ses efforts sur les causes environnementales, surtout depuis 2014, avec une autre thématique de recherche : la valorisation des déchets et des coproduits agroindustriels. Elle intègre alors au sein de la FS une équipe de chercheurs s’intéressant à ce sujet pour se charger du volet « valorisation des déchets en énergie » (waste to energy technology), plus précisément la digestion anaérobie (sans présence de l’air) ou méthanisation qui permet la production de méthane à partir de déchets organiques.
Une chercheuse très humaniste et une citoyenne modèle
Combinant ainsi ses capacités de chercheuse et son caractère humaniste dont les scouts lui ont fait héritage, Zeina Hobaika met l’Homme au centre de son intérêt et, pour ce faire, elle ajoute à son portfolio un diplôme exécutif en Gestion et conduite de projets stratégiques de Sciences Po à Paris. « L’Homme est étroitement lié à la nature et à l’autre. Ainsi, j’essaye toujours de pousser les autres à se mobiliser pour des causes humaines, sociales, culturelles ou environnementales ! », affirme-t-elle. Très patriotique, la citoyenne essaye toujours de mettre son travail et ses capacités au service de sa patrie aussi bien au niveau social que politique ou même économique. Elle travaille notamment sur le développement d’une alternative aux crises des déchets et de l’électricité, en mettant en place une unité de digestion anaérobie au sein de la Bekaa afin de produire de l’électricité ou du chauffage à partir du biométhane et du compost pour les agriculteurs. « Le projet est en cours, nous cherchons à réaliser une étude de faisabilité du projet en vue de le mettre en vigueur ! », s’enthousiaste-t-elle. Pour finir sur une note positive, Zeina Hobaika conseille aux jeunes libanais de ne pas baisser les bras et de profiter de leurs ressources humaines et de leurs talents pour construire le Liban de demain auquel ils aspirent.