Pollution Plastique: Comment transformer un fléau en aubaine
Hestia Akiki, rédactrice
December 19, 2020
«Il y eut un Âge de Pierre , un Âge de Bronze, et nous sommes aujourd'hui en plein Âge de Plastique» déclarait lors d'une conférence en 2012 Boyan Slat, fondateur de l'association The Ocean Cleanup. Depuis, cette situation ne s'est pas démentie : des hauteurs de l'Himalaya, jusqu'aux profondeurs des Mariannes, le plastique est partout, causant de nombreux dégâts à l'échelle humaine et surtout environnementale. Les milieux marins sont particulièrement touchés et les côtes libanaises n'échappent pas à ce triste constat: elles bordent l'une des mers les plus polluées du globe, la Mer Méditerranée. Face à cette situation, de nombreuses initiatives ont vu le jour, que ce soit au niveau de la recherche ou de l'innovation.
Le Liban victime de sa situation géographique et de l'ingérence des déchets plastiques
L'emplacement du pays des Cèdres sur la côte Est de la Méditerranée lui confère un désavantage non négligeable. «La Grande Bleue, comparée aux autres mers, est plus exposée à la pollution plastique [ndlr : chaque année, ce sont 600 000 tonnes de plastiques jetés, soit 34 000 bouteilles par minute!]. Ceci est dû à une forte densité de population: plus de 70 millions d’habitants vivent au large des côtes. C'est en outre une région à trafic maritime important, très prisée des touristes et des pêcheurs. C'est la mer la plus polluée au monde [ndlr : elle est quatre fois plus polluée que le continent de plastique]» explique Ridge Antoun, titulaire d'un master en biologie et en écologie marine, et chercheur dans le domaine au CNRS de Jounieh. Il continue en révélant l'importance des courants qui y sévissent. Le pays des Cèdres se trouve sur la partie Est de la Méditerranée, caractérisée par ses «courants attracteurs» favorisant l'accumulation de déchets plastiques dans ses eaux. Il côtoie au Sud un voisin extrêmement industrialisé: l’État d'Israël. Cette activité, associée à un courant ascendant, causerait une augmentation du taux de plastique au niveau des rivages du Sud-Liban. La région de Tyre, peu industrialisée, devrait présenter de faibles quantités. Or, le chercheur affirme qu'il n'en est rien: l'eau présente une concentration de 2 à 3 particules par mètre cube.
Outre la pollution des plages par les passants, comme à Manara où l’on trouve des résidus plastiques provenant de gobelets, sacs et boîtes à nourritures ; les décharges sont d'importantes sources de pollution. Ces dernières sont planifiées de manière complètement aléatoire (sans études préalables pour prévoir leur impact sur l'environnement) et se situant proche de la mer, telles que les deux décharges de Burj Hammoud et Costa Brava. Les rivières sont elles aussi impliquées, polluées par les usines et les particuliers, elles déversent leurs détritus dans la mer.
Une situation aux lourdes conséquences environnementales et humaines
Le plastique, par sa composition, menace énormément la vie marine et humaine. Il est hydrophobe et léger, ce qui lui permet de flotter à la surface et d'accumuler des substances toxiques comme les pesticides, et les POP(Polluants Organiques Persistants). Ces derniers sont des substances cancérigènes, mutagènes et des perturbateurs endocriniens. De plus, les additifs (pour la texture, la couleur,…) sont eux aussi extrêmement nocifs. Les espèces qui consommeront ce microplastique subiront donc ses nombreux effets. De plus, le plastique constitue un site de prolifération de bactéries et d'algues symbiotiques, formant «un biofilm». Comme le précise le chercheur du CNRS: «Ces microplastiques seront entourés par des colonies de différentes espèces de bactéries favorisant la survie de certaines d'entre elles à la salinité» telles que la bactérie E.coli, causant de sévères diarrhées ; et la bactérie V.Cholerae, causant le choléra. L'être humain n'est pas épargné, les pêcheurs verront leurs prises s’amoindrir, et les consommateurs seront exposés à ces agents mutagènes et pathogènes.
Enfin le macroplastique menace les espèces marines et le tourisme. Celui-ci se présente surtout sous forme de filets fantômes (filets de pêche jetés à la mer), ou de sacs en plastique. Près de 344 espèces sont alors prises au piège dans une longue agonie. Or, certaines sont essentielles pour contrer les espèces invasives. C'est le cas de la tortue caouanne, seule prédatrice de La Rhopilema nomadica, une espèce de méduse provenant de la Mer Rouge, et nuisible au tourisme.
Chrysalis, un prototype en réponse à la crise
Face à ce fléau, de nombreuses innovations ont vu le jour tel que le prototype de pyrolyse Chrysalis de Earthwake, une association française. C'est avec son directeur général, François Danel, que nous avons eu l'occasion de découvrir cette invention.
Chrysalis, tel que son nom l'indique, est une machine permettant de transformer le plastique en quelque chose d'utile, comme par exemple en carburant. «Cet équipement aujourd'hui est capable de transformer 40 kg de déchets plastiques de types polyéthylène ou polypropylène pour en faire une quarantaine de litres de carburant composé à 80 % de diesel.» nous explique M. Danel. C'est suite à une rencontre en Afrique avec le fondateur d'Earthwake (l'acteur Samuel Le Bihan) que ce dernier constate l'ampleur des dégâts des déchets plastiques dans la nature et les océans. Selon eux, le moyen d'y remédier est d'octroyer de la valeur à ces déchets. Ils rencontrent alors l'inventeur Christopher Costes et son prototype, et le supportent financièrement: Chrysalis est né!
L'invention permettra non seulement de dépolluer l'environnement, mais aussi de créer des emplois pour la collecte et le fonctionnement de la machine. Chrysalis permet également la production d'énergie par groupe électrogène, alimenté par du diesel.
«C'est déjà une bonne performance, puisqu'aujourd'hui cet équipement a un bon rendement, il est autonome en énergie puisqu'on récupère avec le gaz de pyrolyse l'énergie pour faire fonctionner le réacteur. Ensuite, on a un équipement mobile mis dans un conteneur qui sera facile à déplacer et enfin on souhaite avoir un équipement de taille humaine qui ne sera pas trop cher (tarif d’environ 50 000 euros) » continue Danel. L'association a d'ailleurs réussi à faire fonctionner des camions collecteurs de déchets avec leur diesel plastique, mélangé au diesel standard.
Les principaux défis que rencontre le projet sont, entre autres, l'optimisation de la capacité de l'engin de 40 kg de plastiques à 150 ou 300 kg par jour afin d'augmenter sa rentabilité ; ainsi que la maîtrise de sa sécurité étant donné que sont manipulés des matières à risque tels que gaz et hydrocarbures. Afin qu'elle puisse être utile dans n'importe quelle communauté, il faudrait faciliter son usage.
Face aux problèmes des gaz à effet de serre générés par le carburant, Danel expose son engin comme un moyen de transition et non une finalité qui permettrait à une certaine communauté d'évoluer vers une démarche plus durable. Malgré l’interdiction du plastique dans certains pays, il assure que le prototype sera à long à terme utilisé dans de nombreuses régions, vu qu’il y aurait une possibilité d'éliminer les déchets déjà présents et de gérer les flux de plastiques qui persisteront.
Enfin, François Danel annonce que le projet sera finalisé fin 2021 et sera commercialisé. Il affirme d'autant plus son attachement au pays des Cèdres, et son envie de venir en aide aux libanais via son prototype, afin de pallier les problèmes d’énergie et de transformer les multiples crises auxquelles le Liban fait face en opportunités début 2022.
Ainsi, malgré la crise environnementale que traverse le pays, celle-ci ouvre de nouvelles perspectives pour innover, chercher, et permettre de répondre à d'autres problèmes du quotidien. C'est pourquoi le chercheur du CNRS affirme qu’ «il ne faut pas baisser les bras, il faut persévérer, parce que ce sont les fruits de nos efforts communs qui aboutiront ».