Promotion 2021 : le défi des lycéens - Le témoignage de lycéens face à la crise

Hestia Akiki, rédactrice

Mai 1, 2021

La terminale, le baccalauréat, puis l’université, dernier virage avant d'aborder sa vie d'adulte : projets, espoirs et rêves déferlent alors à perte de vue… Pourtant, pour les jeunes Libanais, l'utopie semble déjà loin. Pandémie, enseignement à distance, crise économique, universités financièrement inaccessibles, explosion en pleine face balayant leurs écoles et idéaux, et enfin décisions ministérielles n'ont fait qu'alourdir le fardeau de leur dernière année scolaire. Quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent ? Nous sommes partis à la rencontre de cinq d’entre eux pour mieux comprendre leur situation.

Ceci est connu de tous : l’enseignement à distance ne peut supplanter celui en présentiel. C’est ce que nos étudiants ont constaté à leurs dépens.

« Je passe 8 à 10 heures devant mon écran entre mes cours et mes devoirs, la difficulté rencontrée durant les cours en ligne n’est un secret pour personne. La seule chose qui me permet de continuer est le fait que c’est le seul moyen. Je souhaite me spécialiser dans l’hôtellerie suite au baccalauréat libanais. Espérons que l’on réussisse malgré les décisions prises dernièrement ! » s’exclame Mario Habchy, élève au lycée public de Georges Frem. Pourtant, atteindre ses rêves n’est pas si simple surtout lorsque l’on désire étudier à l’étranger : le ministre de l’éducation libanaise a décidé de reporter les examens officiels jusqu’à fin juillet, ce qui constitue un obstacle majeur.

« Suivre les cours en ligne est un réel défi pour tous. Bien que je n’ai plus ma motivation initiale, je garde espoir, mais il ne se trouve plus en ce pays. C’est pourquoi je prévois d’entamer mes études en conception graphique au Canada. Mais ce désir est freiné par la décision ministérielle du bac au Liban : vu que les épreuves débutent en fin juillet, beaucoup des élèves qui aspirent à étudier à l’étranger sont contraints ou de reporter leurs projets, ou de présenter plus tôt. Bien que je comprenne parfaitement le ministre par son désir d’aider les écoles qui n’ont pu continuer à distance, beaucoup d’entre nous devront renoncer à leurs projets. » confie Chloé Zeidan, du Collège Notre Dame de Louaizé, Zouk-Mosbeh.

Les étudiants du baccalauréat libanais ne sont pas les seuls à être confrontés à ces décisions ministérielles : ceci est aussi le cas de 10% des lycéens présentant le baccalauréat français au pays des cèdres. En effet, les élèves issus des établissements dits non homologués ou en voie d’homologation* seront contraints de présenter l’intégralité des épreuves du bac sans allègement important dans leurs programmes, contrairement à leurs camarades du bac libanais. Cette différence est d’autant plus présente que les autres lycéens des établissements homologués n’auront que deux épreuves à faire : la philosophie et le Grand oral. Le reste de leur note se basera sur celle du contrôle continu fait à l’école. 

Selon M. Henri de Rohan-Csermak,  inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche et conseiller adjoint de coopération et d’action culturelle chargé de l’enseignement français : « C’est le principe même de l’homologation : un établissement homologué est reconnu à l’égal des établissements français publics ou privés sous contrat avec l’État français. Pour cela, les établissements homologués sont inspectés par le ministère français de l’éducation nationale et leur dossier est examiné par une commission exigeante. Ils signent un contrat avec l’AEFE, qui représente l’État français. […] 


Ne pas s’homologuer est donc un choix d’établissement que nous respectons car l’homologation représente indiscutablement des obligations ; mais c’est aussi le choix de priver ses élèves d’un statut d’établissement français pour le passage du baccalauréat, et nous n’y pouvons rien. Partout dans le monde, les candidats qui préparent le baccalauréat français autrement que dans des établissements homologués sont considérés comme candidats individuels. ».  M. de Rohan-Csermak a d’autant plus rappelé le rôle de la France pour soutenir le Liban, en particulier son système éducatif, qu’il soit privé ou public, et qui offre l’un des réseaux d’établissements homologués les plus importants au monde. « Cependant, le caractère des diplômes nationaux français interdit que des exceptions soient faites pour un seul pays : la réglementation du diplôme s’applique au monde entier ; c’est ce qui fait sa valeur et justifie sa reconnaissance internationale.» confie-t-il. 

Cette décision prise par le ministre de l’éducation française a été choisie dû au contexte sanitaire, or ce dernier s’applique également aux lycéens issus de ces établissement hors-contrat, clament les élèves.

C’est ce que clame aussi Émile, étudiant dans un des établissements concernés : « Franchement, je me sens un élève de classe inférieure, défavorisé de l'égalité. Depuis février 2020, nos cours sont à 100% en ligne, la crise économique nous engloutit de plus en plus, on n’a pas acquis les informations comme il faut, le programme est très chargé et ils veulent qu'on passe le bac avec les épreuves comme si l’année s'était passée normalement. Or, au contraire, elle est très différente de la normale. C’est un cauchemar réel ! »

D’autant plus que certaines d’entre elles ont été affectées par l’explosion du port de Beyrouth. Crises multiples, pandémies, cette catastrophe pèse énormément sur ces élèves qui ne peuvent comprendre qu’une nouvelle injustice soit faite à leur égard avec un bac considéré par ces derniers comme inégalitaire.

« La jeunesse libanaise est accoutumée à vivre des drames mais aujourd’hui notre jeunesse est en train de traverser de nombreux obstacles dont la crise politico-financière, le covid-19 et le crime injustifiable du 4 août 2020, ce qui est une charge très lourde. La jeunesse libanaise souffre et est traumatisée. Franchement, je sens que nous naviguons dans l'inconnu et que nous sommes incapables d’atteindre et de palper la fin de cette route dont l'atmosphère est bien brumeuse. Je cherche à résister et à faire de mon mieux pour saisir les choses sur cette route exigeante où je trouve mon collège depuis l’enfance, le collège du Sacré Cœur Gemmayzé gravement touché par l’explosion. Cette route est pleine de souffrance, de surprises et de détresse. La souffrance, c’est d’être incapable de saisir son avenir. Les surprises sont les nouvelles informations concernant le bac. La dernière consiste à ce que les établissements non homologués ou en voie d'homologation ne profiteront pas du contrôle continu et devront passer toutes leurs épreuves dès le 19 mai. Pourtant, ce n’est pas le cas pour les établissements homologués, en tenant compte que l’annulation des épreuves a été prise dans le contexte de crise sanitaire. Les élèves des écoles non homologuées et en voie d'homologation sont-ils immunisés contre le virus ?! Oui, nous passons un bac INJUSTE ! Avec pas plus que 10 jours d’enseignement en présentiel - à cause du pic des cas de covid-19 en décembre - avec des manuels numériques, pas de livres en main pour bien réviser. Oui, nous sommes des jeunes stressés en permanence, perdus et débordés qui cherchent une étincelle d'espoir. À un moment donné, je me demande si j'ai l’aptitude à finir ce parcours. » déclare Sabine Fayad, élève en terminale bac français au Collège Sacré Cœur.

Outre cela, la crise économique a privé certains lycéens de ces établissements de leur droit fondamental : celui de l’éducation. C’est le cas de Sarah**, élève en terminale bac français, scolarisée dans un lycée non homologué : « Notre année scolaire a débuté sous l’auspice de l’explosion du port de Beyrouth, toute ma famille s’y trouvait. Ma mère a failli y passer, pour moi cet horrible évènement a été particulièrement marquant. Dû à la situation économique, mes parents ne peuvent me payer les fournitures, livres, ou ordinateurs et encore moins ma scolarité. Face à cela, mon lycée a décidé de me priver de mes cours en ligne et de toutes ressources numériques pouvant m’aider pour le baccalauréat, et je ne peux accéder à mes notes. Toutes mes ambitions se sont envolées : je ne crois même pas me lancer financièrement dans le supérieur. Avec tous ces problèmes, il est difficile de passer une année scolaire normale, comment serait-ce si c’était celle du bac ?! Ajoutons à cela une nouvelle discrimination : suite à la décision du ministre de l’éducation française, mon lycée, qui est partiellement homologué, devra faire passer à ses élèves toutes les épreuves du baccalauréat. Pourtant, ceux qui sont issus des établissements homologués devront juste passer deux épreuves, dont le Grand oral qui exige une importante préparation. Dans un pays comme le Liban où on ne peut garantir sa sécurité sanitaire, comment pourrais-je aborder cet examen, sans mettre en danger la vie de mes proches ? Je doute de pouvoir passer le cap. »

Ainsi, ces lycéens de tous horizons et bacs confondus rencontrent de plus en plus d’obstacles face à la réalisation de leur avenir. 

*« L'homologation des établissements d'enseignement français à l'étranger est la procédure par laquelle, en accord avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), le ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports (MENJS) atteste et reconnaît que des établissements scolaires situés à l'étranger dispensent un enseignement conforme aux principes, aux programmes et à l'organisation pédagogique du système éducatif français.» (Source : aefe.fr)

**Les véritables noms de la jeune fille et de son établissement ont été retirés suite à sa demande. (Sarah est un nom fictif).

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