La communication populiste : un danger pour la démocratie ?
Analyse d’opinion, rédacteur, Albert Najm
Mars 16, 2021
«La démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres».
Cette déclaration signée de Churchill date de 1947 mais est aujourd’hui plus que jamais d’actualité. La démocratie, dans sa forme actuelle, vacille et s’apparente plus à une oligarchie déguisée qu’ « au pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple » préconisé par Lincoln. Cette remise en question du régime démocratique, qui va de pair avec la critique à outrance de la mondialisation , laisse donc la voie libre aux populistes. Hitler, Staline, Mussolini, et Pol Pot sont responsables des génocides les plus terribles du siècle dernier, mais les dictateurs du XXIème siècle possèdent un outil invasif beaucoup plus insidieux qui est celui de l’utilisation intelligente et masquée des plateformes de communication et notamment, celle des réseaux sociaux.
Pour mieux appréhender les raisons de l’ascension du populisme, il faut d’abord décrypter les circonstances qui les amènent au pouvoir. Après la Première Guerre mondiale, l’Allemagne voulait retrouver son honneur après son humiliation cuisante, et le peuple allemand ayant perdu confiance dans les partis traditionnels accusés de cette débâcle va laisser la voie libre à Hitler pour lui rendre sa grandeur. Ce slogan n’est pas sans rappeler celui de Donald Trump.
En France, en 2002, Jean-Marie Le Pen, condamné à plusieurs reprises en raison de ses propos racistes ou parfois antisémites (qualifiant notamment les chambres à gaz comme « un point de détail de la Seconde Guerre mondiale » )accède au second tour de l’élection présidentielle, rompant ainsi le clivage des partis traditionnels.
Le populisme vient donc d’une frustration collective, du manque de confiance dans les institutions et l’establishmentpolitique, de la croissance des inégalités favorisée par la mondialisation et d’un libéralisme extrême. Ces inégalités polarisantes préparent parfaitement le terrain à l’émergence du populisme, qui sera incarné par un leader charismatique, un « homme providentiel », qui dira tout haut ce que le peuple pense tout bas. Il canalise ainsi la passion populaire.
Le populiste tire sa force de sa communication, il divise au lieu d’unir, et a toujours besoin d’un ennemi, d’un bouc émissaire qui serait la source de tous les malheurs du peuple. Pour Hitler, il s’agissait des juifs ; pour Trump, il s’agit des médias traditionnels et toute l’oligarchie qui les contrôle ; et pour Boris Johnson, il s’agit de l’Union européenne. D’ailleurs, ce dernier avait affirmé lors de sa campagne pour le Brexit que la Grande-Bretagne versait 350 millions de livres sterlings par semaine en contribution à l’Union européenne, alors que le chiffre réel serait trois fois inférieur.
Les nouveaux médias sont une aubaine pour les populistes en leur offrant une tribune inespérée à travers laquelle ils peuvent non seulement s’exprimer sans aucun filtre, mais aussi partager leurs idées et faire leur propagande. En quelques clics, ils peuvent ainsi fédérer des masses sans passer par les canaux traditionnels. C’est la démocratisation de la démagogie, d’où la dédiabolisation du populisme.
C’est là où l’on se rend compte de l’importance du devoir civique du citoyen, qui doit réaliser en temps de crise un vote éclairé et ne doit pas céder à la tentation démagogique. Il doit, de ce fait, savoir reconnaître le candidat qui porte le projet le plus adapté à sa conception de la nation, et celui qui, au contraire, pourrait poser un danger.
Néanmoins, le populiste moderne a anticipé et a donc utilisé des méthodes qui masquent cette différenciation. Il a recours à une stratégie redoutable : celle de l’attaque permanente.
Pour arriver à leurs fins, ces leaders sont prêts à tout pour gagner le soutien populaire, ce qui passe évidemment par la diffusion de fake news. Cette pratique est même un outil puissant lorsqu’ils accèdent au pouvoir, même si leur parole est désormais officielle et représente la nation.
L’exemple du président Trump est à ce titre éloquent : à travers son refus de se soumettre aux résultats de l’élection et au processus constitutionnel, il représente l’archétype d’un dirigeant populiste avide de pouvoir, opportuniste et omniprésent dans les médias. En Europe, la désinformation est aussi un outil privilégié par les « démocraties autoritaires ».
Le dirigeant populiste agit pour ses propres intérêts et est prêt à tout pour se perpétuer au pouvoir en allant même jusqu’à trahir son peuple. Il a souvent recours à des propos fomentant la division voire la sédition.
Ceci se traduit par la radicalisation de l’électorat qui donne souvent naissance à des mouvements séparatistes,représentant un danger à la démocratie et surtout à l’ordre public. Toujours aux États-Unis, des organisations complotistes, néo-fascistes, suprématistes comme QAnon ou les « proud boys », inspirées par le wotanisme - représentant une forme d'idéologie politique marginale, intrinsèquement raciste, antisémite et néonazie - ont émergé et affiché leur soutien inconditionnel à Donald Trump (qui ne les condamne d’ailleurs pas).
L’invasion du capitole par ces mouvances extrémistes est la preuve des tensions latentes entre l’oligarchie politique et la volonté populaire méfiante. Ces mouvements dépassent largement les frontières américaines, puisque plusieurs autres pays - notamment la France, la Belgique et le Royaume-Uni - s’en inquiètent.
Leur omniprésence sur le web est difficile, voire souvent impossible à traquer car ils contournent les algorithmes qui cherchent à les censurer.
Au Brésil, Jair Bolsonaro, qui était un député inconnu de l’opinion publique, a émergé en quelques mois grâce à ses interventions polémiques tapageuses et aux fake news propagées sur les réseaux sociaux.
Le Liban ne fait pas exception puisque les médias traditionnels sont contrôlés par les chefs de communautés et excluent déjà toute émergence de voix dissonantes. C’est la justice qui se charge d’arrêter et éventuellement, de condamner les dissidents, muselant ainsi toute velléité de démocratie transparente. Résultat ? Le peuple libanais est plus que jamais divisé et n’arrive plus à se rassembler pour trouver une identité nationale commune.
Nous pouvons donc nous demander ce qui fait le succès et l’expansion de ces théories : elles font tout simplement appel à l’émotion et non pas à la raison et la modération ; dans une société où celui qui a la voix la plus forte ou qui exprime une colère, une émotion, va être plus facilement entendu que celui qui basera son argumentaire sur la logique et sur une réflexion approfondie.
Nous pouvons donc légitimement nous inquiéter de l’évolution d’une parole publique dont l’unique but est de faire appel à nos émotions, notamment l’indignation (c’est là toute la base du battage médiatique). L’effort intellectuel se dégrade, est marginalisé, et c’est ainsi que naît la tentation de la mouvance complotiste.
Comme le spécialiste des médias Thomas Huchon l’indique : « Ces plateformes nous ont trompés en nous faisant croire qu’elles défendaient la démocratie et la liberté d’expression alors qu’elles sont devenues l’outil des populistes et des extrémistes ».
Il est donc crucial aujourd’hui de responsabiliser ces plateformes sur le contenu qu’elles diffusent, notamment en recadrant juridiquement leur activité.
L’Histoire est cyclique, et à chaque fois que la démocratie, ou un autre régime fait défaut, le populisme n’est jamais loin.
A la nouvelle génération : Non, le populisme n’est pas l’alternative qu’il vous faut !
Ne nous laissons pas berner par la démagogie et l’entreprise de manipulation, ne comptons pas sur un homme providentiel pour afficher nos convictions, notre idéal, et notre projet !
Ce dont notre monde a besoin, c’est un régime où chaque citoyen peut participer à la vie politique, et est libre d’exprimer ses idées ; et pour réaliser cet objectif, les médias doivent désormais être des institutions neutres et non plus un « quatrième pouvoir ».