L’accord de Paix entre israël et deux monarchies du Golfe : quelle portée et quelles limites pour le Moyen-Orient ?
Une analyse d’opinion de Ambre Regani, contributeur
Octobre 31, 2020
Le 15 Septembre dernier1, Donald Trump a dévoilé l’accord tripartite entre l’État hébreu, le Bahreïn et les Émirats Arabes Unis. Depuis son arrivée au pouvoir, le Président américain a fait du Moyen-Orient un enjeu important de sa politique étrangère. Avec l’annonce de cet accord de normalisation des relations, Trump compte bien faire d’israël une clé de voûte de sa politique étrangère au Moyen-Orient ; mais aussi, un allié majeur dans cette région conflictuelle. Quant aux pays arabes, ils cèdent, une fois de plus, à la tentation du sectarisme et de la division religieuse. En effet, cette alliance sunnite avec le voisin hébreu, met encore plus en péril l’avenir des populations chiites des pays. La conférence de Manama2, souvent appelée le « Big Deal » du siècle, a réussi à réunir à la table des négociations les pays arabes et israël. Le rapprochement israélo-saoudien avait déjà fait vague dans la région. Plusieurs pays arabes se sont opposés à l’éventualité d’une possible réconciliation avec israël, notamment le Liban et l’Iran. Grands absents de l’été dernier à la Conférence de Manama, il se pourrait que l’accord signé entre israël et deux pays arabes, viennent envenimer la situation politique du Moyen-Orient. La possible ouverture aux partenariats avec d’autres pays arabes pourrait bien se réaliser dans les mois qui viennent. Le sultanat d’Oman s’est déjà réjoui de cette « avancée » vers la voie de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient3. Néanmoins, malgré le succès de cet accord, l’avenir du Moyen-Orient parait de plus en plus incertain. Cette alliance sunnite et israélienne pourrait bien provoquer de nombreuses tensions interétatiques et intraétatiques.
Quel avenir pour le Moyen-Orient ; Et quelles conséquences pour lui après la ratification de cet accord ?
L’accord tripartite n’est pas historique ; et les États-Unis ne sont pas à leur premier coup d’essai. Sous Carter avec les accords de Camp David, Bill Clinton et les accords d’Oslo, les États-Unis ont toujours fait de la paix et de la sécurité au Moyen-Orient un enjeu majeur de leur politique étrangère. Mais ce n’est pas pour autant que le pari a été gagné : les échecs ont été multiples. La montée du nationalisme juif - notamment avec l’assassinat de Begin par un religieux juif - et arabe avec la montée des groupuscules terroristes, n’a fait qu’enliser le conflit israélo-palestinien (début des Intifadas). Qu’en est-il alors de cet accord ?
Il parait évident que depuis de nombreuses années, les pays du Golfe entretiennent des relations apaisées et diplomatiques avec israël. Aujourd’hui, la tendance a bien changé. L’arrivée au pouvoir de Mohamed Bin-Salman montre bien la volonté de faire d’israël4, un partenaire privilégié et assumé face à l’ennemi chiite. Mais excepté la Jordanie et l’Égypte, aucun autre pays arabe n’avait « officiellement » accepté de signer un accord de reconnaissance et de normalisation avec israël. Cette ouverture peut être bénéfique pour les deux côtés. israël pourrait étendre son influence et son pouvoir au Moyen-Orient et les pétromonarchies pourraient obtenir un respect des pays occidentaux et de la communauté internationale sous couvert de « respect d’autrui » et de « liberté religieuse ». Or, cette reconnaissance pourrait rendre la question palestinienne encore plus difficile et incertaine qu’elle ne l’est déjà. Éternel soutien du combat palestinien, Bahreïn et les Émirats Arabes Unis sont critiqués par ces derniers. Accusés d’être des traîtres et d’avoir encore plus réduit leur espoir de mettre fin à l’occupation israélienne en Palestine, leur rôle comme intermédiaire pourrait bien être remis en question5.
Mais peut-on dire que l’État hébreu en profitera ?
L’étendue de cette normalisation pourrait avoir des effets positifs dans plusieurs domaines pour israël. La peur de voir éclater un nouveau conflit israélo-arabe se réduit considérablement depuis plusieurs années. En termes de sécurité, israël pourrait avoir des contacts dans des pays « stratégiques » où des dignitaires palestiniens font résidence. En termeséconomique et technologique, la coopération avec ces États pourrait lui rapporter de nombreux bénéfices non négligeablesau vu de la situation économique difficile de ces dernières années. De plus, sa volonté d’étendre sa zone de contrôle dans les territoires palestiniens ne sera pas ébranlée. Elle pourra continuer à agir comme un État colon, sans avoir « peur » d’un affrontement armé avec des États voisins. Mais son plus gros coup de poker a surement été d’éviter d’aborder la question palestinienne avec ses partenaires. Toute négociation en faveur de la fin du conflit israélo-palestinien n’a pas été mise à l’ordre du jour. Pouvoir négocier et conclure un accord sans que la politique israélienne expansionniste ne soit touchée, a toujours été l’un des enjeux du gouvernement israélien depuis sa création en 1948. Cependant, ce coup de maître n’est pas sans conséquences. Les autorités palestiniennes ont déjà réagi à cette annonce et ont dénoncé cet acte hypocrite. Le Hamas, quant à lui, a décidé de prendre les armes et de faire savoir qu’aucune autre issue que l’affrontement armé ne sera possible dans la question palestinienne6. Les tensions et les affrontements indirects pourraient s’accentuer dans les semaines à venir. israël devra donc faire face à une situation critique et instable. D’autres influences entre autres celle de l’Iran et du Hezbollah pourront bien réagir de manière virulente et accrue. Elles apporteront un soutien sans faille à la cause palestinienne et à sa lutte pour la liberté. Il est donc évident que cet accord profitera à israël sur plusieurs plans, mais la situation à ses frontières (Liban, Iran, Syrie, territoires palestiniens) deviendra conflictuelle.
Alors, quelle nouvelle géopolitique peut-on voir au Moyen-Orient ?
Depuis de nombreuses années, lesÉtats-Unis se sontimmiscédans les affaires politiques du Moyen-Orient. D’abordsaluéspuiscritiquéset maintenant ciblés, lesÉtats-Unis sont devenus au Moyen-Orient un acteur clé et indissociable de cette région. Maisleursnombreux échecs n’ont fait que transformer le Moyen-Orient en une réelle poudrière à ciel ouvert. Une fois de plus, le géant américainréussità rassembler à la table diplomatique israël, le Bahreïn et lesÉmirats Arabes Unis. Bien loin d’imaginer les conséquences pour cette région, lesÉtats-Unis s’entêtent à être les initiateurs de tous les accords en faveur de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient,sans jamais vouloir comprendre qu’ilspeuventêtre la gâchette des conflits. Une nouvelle géopolitique s’estcertesconstruite et développée au Moyen-Orient mais les affrontements armés ont évolué. Croire qu’ils ont disparu serait un leurre, leur transformation a juste occulté leur réelle dynamique.