Les victimes silencieuses du Coronavirus
Une analyse, Cherly Abou Chabke, auteur
Mercredi 1er Avril 2020
« Nous devons venir en aide aux ultra-vulnérables – des millions et des millions de personnes qui sont le moins en mesure de se protéger », a déclaré cette semaine le secrétaire général de l'ONU, António Guterres.
Avec la pandémie du Covid-19 qui ravage le globe, bouleverse les marchés internationaux, et remet en question le principe de mondialisation; il est crucial non seulement de songer à l’avenir de nos économies, mais également, de s’attarder sur la situation de ceux dont l’avenir est assez déjà brouillé : les réfugiés.
Plus de 70 millions de personnes dans le monde ont été forcées de fuir leurs foyers en raison de la persécution, les conflits, la violence et les atteintes à leurs droits fondamentaux. Sur ce nombre, plus de 29 millions sont des réfugiés, dont 84% sont hébergés par des pays à revenu faible ou intermédiaire ayant des systèmes de santé et d'eau défaillants .
Surpopulation, pénurie de personnels qualifiés et d'infrastructures médicales, promiscuité, difficultés d'accès à l'eau, perturbation des circuits d’approvisionnement en raison du conflit, et manque de stocks de médicaments et de matériel médical et chirurgical, plombent l’offre de soins médicaux et constituent une entorse au confort de ces populations. Le slogan e la prévention du Coronavirus en Occident, « le distancement social », paraît inexécutable dans de telles conditions.
« La seule chose sur laquelle tout le monde insiste pour lutter contre le coronavirus est de créer une distance sociale, mais c'est précisément ce qui est impossible pour les réfugiés », a déclaré Deepmala Mahla, directrice régionale pour l'Asie de CARE, l'agence d'aide humanitaire. « Où aller pour créer de l'espace ? Il n'y a pas d'espace ».
Ces exemples exposant le drame de la situation, malgré leur aspect assez péjoratif, demeurent assez timides et insuffisants pour révéler la réalité des conditions de vie des réfugiés, qui constituent aujourd’hui la cible du virus. Les craintes que ce dernier ne se répande comme une traînée de poudre dans les camps de réfugiés du monde, semblent à présent susciter les esprits des gouvernants et de la communauté internationale. Mais n’est-il pas trop tard?
Selon le Haut Commissariat des Réfugiés (HCR), le 10 mars 2020, plus de 100 pays avaient signalé une transmission locale de Covid-19. Parmi ceux-ci, 34 pays ont des populations de réfugiés dépassant 20 000 personnes. Certaines populations profitent de l’appui financier de l'ONU ainsi que d'ONG régionales ou internationales, d'autres se livrent à elles-mêmes. Cependant, toutes sont essentiellement en danger dans cette guerre contre l’ennemi invisible.
Les Nations Unies estiment que près de 70 millions de personnes déracinées par la guerre et la persécution dans le monde sont en danger aigu. N’est-il pas ironique qu’une population autrefois traumatisée par la violence et la guerre, se retrouve désormais tourmentée par un virus invisible ?
Tout ce que cette pléthore de réfugiés demande est une protection pour assurer la continuité de sa vie. Néanmoins, la réponse du monde à la crise du Covid-19 ne semble englober qu’une petite fraction de personnes, qui ne compte pas le nombre colossal de ceux forcés de fuir leurs foyers.
« Alors que les dirigeants mondiaux se préparent au pire à l'intérieur de leurs frontières, ils ne doivent pas abandonner ceux qui vivent en dehors d'eux », a déclaré dans un communiqué Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés.
Pour faire face à la crise qui semble s’échelonner, le HCR a sollicité « un financement de 33 millions de dollars pour renforcer ses activités de préparation, de prévention et de réponse au virus ».
En ce qui concerne la situation des réfugiés globalement, il serait intéressant de voir dans un premier lieu la situation des plus vulnérables parmi ces derniers.
Les cliniques d'un camp de réfugiés au Kenya sont en difficulté en circonstances ordinaires avec seulement huit médecins pour près de 200 000 personnes.
Un camp de réfugiés au Bangladesh est si petit que sa densité de population est près de quatre fois celle de New York, ce qui rend impossible toute distanciation sociale. Les autorités craignent que la saison des pluies à venir ne fasse déborder les eaux usées dans des abris fragiles, et éventuellement, qu’elle propage le coronavirus.
Les Rohingyas, victimes de génocide, semblent aujourd’hui être de potentielles victimes face au Covid-19. Plusieurs volontaires au Myanmar exhortent les réfugiés par le biais de vidéos et d’affiches à se laver les mains et à prendre des précautions ; et s’acharnent de la sorte à leur donner des renseignements sur la question. En effet, un manque d'information dans les camps a accru le sentiment de panique chez les personnes d’un tempérament généralement anxieux. Le gouvernement a limité l'accès à Internet pour de nombreux Rohingyas, créant un vide d'information qui a permis aux rumeurs de prospérer: manger de l'ail à l’exposition de la chaleur éloignerait le virus, les fidèles seraient en mesure d’éviter la maladie, les patients testés positifs devraient être tués pour arrêter la contagion…
L’expression d’Adam Coutts, chercheur en santé publique à l'Université de Cambridge est une parfaite illustration du cas du Bangladesh : «Si nous pensons que c'est un gros problème aux États-Unis et en Europe, nous n'avons encore rien vu si le Covid-19 pénètre dans la population réfugiée »,
De surcroît, les décisions prises par les gouvernements ces derniers jours de fermer les frontières nationales, menacent également de priver les personnes fuyant la violence et la persécution de recevoir des soins médicaux ou de se procurer de la nourriture.
La Colombie a récemment fermé sa frontière avec le Venezuela et de nombreux vénézuéliens qui traversent quotidiennement la frontière pour se nourrir, travailler et se soigner sont désormais bloqués sans accès aux besoins vitaux de base.
Les groupes humanitaires s'inquiètent également du fait que le coronavirus pourrait procurer une marge de progression aux courants politiques anti-migrants et anti-réfugiés, qui se serviraient de la pandémie comme excuse pour fermer la porte aux personnes fuyant la guerre et la persécution, même s'il n'y a aucun lien entre le coronavirus et les réfugiés.
Dans un second lieu, une réflexion cruciale devrait être faite sur les conditions sur les conditions de vie des réfugiés au Moyen-Orient, où le coronavirus est une nouvelle menace pour les gouvernements majoritairement corrompus et mal équipés. Depuis 2011, la guerre syrienne a mobilisé 6,1 millions de personnes et forcé quelques 5,3 millions à fuir vers les États voisins, pour qu’environ 6 millions de personnes se retrouvent aujourd’hui à l’étranger, principalement en Turquie, au Liban et en Jordanie, et environ 6 millions sont déplacées à l'intérieur du pays.
En Iran, l'un des pays les plus durement touchés par la pandémie, il y a encore environ 3 millions de réfugiés en raison des 40 années de conflit qui ont duré en Afghanistan.
« Une tempête parfaite se prépare », a déclaré un responsable de l'ONU pour la région du Moyen-Orient . « De nombreux pays dans le monde sont confrontés à une augmentation des cas [d'infections], et la plupart d'entre eux ont la capacité de le constater », dit-il.« Mais ici, il y a un risque que nous nous réveillions un jour et trouvions des centaines et des centaines de milliers de personnes qui sont déjà atteintes et il n'y a presque rien à faire ». La distanciation sociale et le confinement sont de la sorte quasiment impossibles à garantir.
Jusqu'à présent, le nombre de cas confirmés de coronavirus parmi les réfugiés est faible, mais cela peut être le résultat d'un manque de tests. «Nous ne savons pas, et c'est en grande partie parce que nous n'avons effectué aucun test », a déclaré Muhammad Zaman, professeur de bio-ingénierie à l'Université de Boston. « Nous devons savoir à quel point le problème est aigu avant de proposer une intervention ». « Étant donné la nature rapide de l'épidémie, si le Covid-19 ne s'est pas déjà propagé aux réfugiés, ce n'est qu'une question de temps », a ajouté Zaman.
La majorité des réfugiés syriens au Liban vivant dans les villes, estiment qu’il vaut mieux acheter du pain et de la nourriture pour leurs familles que d’acheter des masques. Dans un pays qui ne peut pas répondre aux besoins de sa propre population, il semble extrêmement difficile aux réfugiés de pouvoir survivre. En plus, la crise économique actuelle qui submerge la nation ne met que des bâtons dans les roues de la vie des réfugiés, qui considèrent la mort par pénurie de nourriture et de médicaments beaucoup plus dangereuse et grave que celle par contagion du Coronavirus.
Une réunion a eu lieu au sein du gouvernement libanais le 3 mars en présence de représentants d’organisations internationales, afin de lutter contre la diffusion du Covid-19, surtout au sein des camps de réfugiés syriens. « Les campagnes de sensibilisation et la fourniture des équipements de désinfection ont commencé à être assurées en coopération avec le HCR (...) », a affirmé le gouvernement. De même, afin de minimiser les risques de propagation du virus dans la vallée de la Bekaa, des restrictions de sortie du camp ont été élaborées, en mettant en place des limites de temps pour le déplacement. Effectivement, les réfugiés syriens ne peuvent quitter leurs camps de 18 heures à 6 heures le lendemain-matin.
Les réfugiés syriens ont reçu un SMS du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) leur demandant de « rester chez eux» et leur assurant qu'il « couvrira le traitement de tout syrien infecté », étant donné que la vie quotidienne dans un camp de réfugiés est un catalyseur idéal pour la prolifération du nombre de cas de gens atteints par le Covid-19.
Concernant les réfugiés palestiniens au Liban, l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) assure la liaison entre les patients palestiniens et les hôpitaux, mais ne fournit pas de tests pour le virus lui-même ; l’UNRWA ne traite pas non plus les patients atteints de coronavirus dans ses établissements de santé. Toutefois, il s'efforce actuellement de mettre en œuvre des emplacements à l'extérieur des camps où des « cas suspects » pourraient volontairement s'isoler, plutôt que de rester dans des abris surpeuplés au sein du camp.
Il est vrai que le Covid-19 a obligé les grandes villes du monde et les puissances globales à se verrouiller, mais qu’en est-il des dizaines de millions de personnes entassées dans des camps de réfugiés où les besoins de première nécessité sont le plus souvent rares ?
Rappelons-nous alors que « Si nous les gardons en sécurité, cela nous protègera tous ».