Retour de la « tradwife »: Femme confinée ou femme au foyer?

Une analyse d’opinion, Cherly Abou Chabke, auteur

10 Mai, 2020

À l’ère des challenges tiktoks, des hashtags #LavezVousLesMains, et des mèmes pince-sans-rire, assumer le farniente de ceux en quarantaine, demeure dorénavant assez facile.  Afin de lutter contre cette idée, certaines personnes semblent prôner la nécessité du « self-care », de la méditation, et de la « jouissance du travail à distance », en rappelant Shakespeare et Newton, dont les travaux ont atteint leur apogée alors qu’ils étaient logés chez eux, à l’abri de la peste de 1665, et en incitant ainsi les gens à rester optimistes, profiter de leur temps libre et tirer le meilleur parti de la situation. 

Tout cela illustre certainement une facette de la situation actuelle, néanmoins, il s'avère qu'une partie de la réalité reste cachée, voire même invisible : celle de la situation des femmes, mères et épouses. 

Avant de procéder à l’analyse, il faut bien noter que cette dernière ne cherche pas à mettre toutes les femmes « dans le même panier », mais vire à la surbrillance des cas identiques de la majorité des mamans confinées à cause de la pandémie du COVID-19. Ainsi, les circonstances courantes nous poussent à soulever plusieurs questions quant au statut des femmes aujourd’hui : Le COVID-19 illustre-t-il désormais le retour de la « femme au foyer » ? Cette situation est-elle devenue synonyme de la condition des femmes durant les années 1950 ? Cette pandémie remet-elle en cause le féminisme ? Fait-elle ressortir et amplifier des inégalités existantes, entre les sexes ? 

Pendant un demi-siècle, la femme au foyer oscille entre acceptation et rébellion. Or, l’émancipation des femmes a constitué l’une des spécificités les plus caractéristiques du XXIème siècle qui a assisté à leur entrée massive au marché du travail. Partout dans le monde, ces dernières - y compris celles qui ont un emploi – commettent plus de tâches ménagères, ont moins de temps libre que leurs partenaires masculins, et sont responsables du gros poids de la gestion du foyer. Pourquoi ? 

Il s’agit effectivement de la charge mentale, définie comme « le poids psychologique que fait peser la gestion des tâches domestiques et éducatives, telles que le ménage, l’administratif, la comptabilité et les obligations parentales ».

« Tout le monde a une charge mentale. La question, c’est comment elle est répartie. Et ce qu’on observe c’est qu’elle pèse sur les épaules des femmes», assure Coline Charpentier, créatrice du compte Instagram @taspensea.

« Au moment du confinement, la charge mentale ne diminue pas. Au contraire, bien que les contraintes extérieures aient été annulées, de nouvelles sont venues les remplacer : notamment les tâches ménagères qui se sont multipliées. Le tout, sans bouffée d’air frais », explique Sarah Laporte-Daube, psychologue à Grenoble et auteure d’Après la maltraitance.

Mais quelles sont alors les causes qui poussent toujours une grande majorité de femmes à tolérer cette répartition inégale de la charge mentale ?

Selon l’analyse de Sarah Laporte-Daube, cela s’explique par des « raisons historiques et sociologiques ». D’après elle : « Dès la plus jeune enfance, les femmes sont préparées à devenir des mères, à s’occuper des autres. Leur altruisme est très privilégié dans les jeux, dans les histoires et tout est fait pour les préparer à porter cette charge mentale. Dans ce contexte, quand le couple se forme, par conditionnement, les femmes vont spontanément organiser, planifier les tâches du foyer alors que les hommes, eux, ne s’en préoccupent pas ».

La psychiatre Aurélia Scheinder analyse le même concept en mettant en relief l’idée selon laquelle : « Les hommes souffrent moins de ce "perfectionnisme domestique" qui étouffe certaines femmes ». Selon Scheinder, cela s’explique pour une grande partie par le système éducatif genré.  « Quand le travail est fini, on se détend, on se distrait, l’homme rentre et se poste devant la télévision, et le petit garçon récupère l’automatisme. Pour la petite fille, le travail n’est jamais fini. Même si cela tend à changer, on a très souvent donné des cuisines aux petites filles pour jouer ».

Ainsi, il est loin d’être les vacances pour les femmes pendant le confinement. À l'heure actuelle, près de 850 millions enfants dans le monde ne vont pas aux écoles, qui ferment leurs portes dans plus de 100 pays, dans le but d'arrêter la propagation du coronavirus. De la sorte, les mamans ont vu basculer leur routine, en jonglant désormais entre suivi pédagogique, boulot, cuisine, activités, et tâches domestiques.

Pendant très longtemps, les hommes et la société ont ignoré la « maison » comme variable dans l’équation travail-vie. L’immense partie des tâches ménagères des couples hétérosexuels est déjà assumée par les femmes - une situation sitôt exacerbée par les énormes bouleversements causés par la pandémie.

 « Les femmes assument une part démesurée de la charge de travail domestique depuis longtemps, mais au moins nous pourrions partager une partie de ce fardeau avec les enseignants, les baby-sitters, les grands-mères et les amis. Mais maintenant que nous avons perdu l'accès à ce soutien, ces inégalités deviennent plus flagrantes », a déclaré Darby Saxbe, professeur à l'Université de Californie du Sud, directeur du USC Center for the Changing Family et premier expert en la matière.

Partout dans le monde, l'indépendance des femmes demeure une victime silencieuse de la pandémie.

Il est évident que nous ne vivons pas seulement une crise de santé publique, mais une crise économique également. Ceci dit, comme une grande partie de la vie normale est suspendue pendant trois mois ou plus, les pertes d'emplois sont inévitables. Cependant, cette affirmation n’est pas une nouveauté à la communauté internationale qui avait déjà été sujette de plusieurs crises sanitaires.

Ainsi, ce qui aggrave les propos mentionnés est l’incapacité du monde à tirer des leçons de l’histoire : la crise d’Ebola dans trois pays africains en 2014; Zika en 2015–6; et les flambées récentes de SARS.

Les universitaires qui ont étudié ces épisodes ont constaté qu'elles avaient des effets profonds et durables sur l'égalité des sexes. « Le revenu de tout le monde a été affecté par l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest », a déclaré Julia Smith, chercheuse en politique de la santé à l'Université Simon Fraser, mais «le revenu des hommes est revenu à ce qu'ils avaient fait avant l'épidémie plus rapidement que le revenu des femmes ».

Selon les chiffres du gouvernement britannique, en 2020, 40% des femmes employées travaillent à temps partiel, contre seulement 13% des hommes. Dans les couples hétérosexuels, les femmes sont plus susceptibles d'être les moins bien rémunérées, signifiant que leur emploi est considéré comme une priorité inférieure en cas de perturbation. Les gains à vie de certaines femmes ne se rétabliront jamais.

Ce que nous faisons maintenant affectera la vie de millions de femmes et de filles lors de futures flambées. En effet, COVID-19 nous offre une opportunité ; il pourrait s'agir de la première crise où des inégalités de genre et de sexe pourraient être enregistrées et prises en compte par les chercheurs, afin de ne pas répéter les erreurs passées, vu que, aussi sombre que cela puisse être imaginé maintenant, de nouvelles épidémies sont inévitables.

Personne ne devrait être nostalgique de « l'idéal des années 1950 » du retour de papa à un « dîner fraîchement préparé » et à des « enfants fraîchement lavés ». De la sorte, se soumettre à son mari comme dans les années 1950, la nouvelle tendance prêchée sur les réseaux sociaux par le mouvement #Tradwife (épouse traditionnelle), a fait bondir les militantes pour les droits des femmes durant la quarantaine, qui accentuent leur propos dans des zones spécifiques. 

La situation de mamans pendant le confinement varie d’une région à l’autre selon plusieurs facteurs, notamment, le niveau d’éducation des femmes, et la sensibilisation de la société à ce sujet. 

Au Moyen-Orient, la plupart des femmes paraissent entièrement dévouées et dédiées à la maison et aux enfants, pendant une période ordinaire. Or, durant cette situation inédite, ce rôle semble gagner de l’ampleur. La notion d’« égalité des sexes » est déjà assez floue et ambiguë dans cette région, qui malgré son ouverture au monde et ses réformes en faveur de la question féminine,  s’avère pour la majorité de pays qui la constituent, toujours plutôt patriarcale. Par suite, l’essor de mouvements féministes revendiquant l'égalité politique, économique, culturelle, sociale et juridique entre les sexes,se traduit comme menace aux hommes et obstacle face à plusieurs régimes de la MENA. 

Selon l'étude internationale sur les hommes et l'égalité des sexes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord réalisée en 2017, seul un homme sur quatre dans le monde arabe et au Moyen-Orient croit en l'égalité des sexes et l'égalité des chances pour les hommes et les femmes. L’étude s’est aussi attardée sur le cas Égyptien, en montrant que 86,8% des hommes égyptiens et 76,7% des femmes pensent que le rôle le plus fondamental d'une femme est de prendre soin de la maison, tandis que 90,3% des hommes et 58,5% des femmes ont déclaré que l'homme devrait être le chef du ménage, à qui le dernier mot appartient. Ainsi, une grande partie de femmes Égyptiennes se trouvent aujourd’hui, durant la quarantaine, assujetties plus que jamais au travail du foyer.

Concernant le cas Libanais, une étude effectuée par les Nations-Unies dans la région en 2020, a montré que 92.4% des femmes sont chargées du travail domestiques, comparé à seulement 36.8% d’hommes. Dans ce pays, les hommes et les femmes sont instruits de manière égale mais inégalement employés : près de 24% des femmes contre 71% des hommes travaillent. Mais malgré cela, environ 30% de familles libanaises, dépendent de l'égalité de revenu entre hommes et femmes. Les femmes libanaises, font aujourd’hui face aux mêmes défis de la majorité des femmes dans le monde entier, en ayant à jongler entre famille et travail. 

COVID-19 a certes remis en question plusieurs éléments constitutifs de l’ère du numérique, mais il revient aux nations de s’assurer que les efforts fournis en faveur du féminisme et de l’émancipation des femmes ne deviennent lettre morte. Désormais, et surtout dans la société « post #metoo », les femmes aussi bien que les hommes, devront assumer les responsabilités relatives aux charges de la maison. 

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