Trump vs « Gen Z »
Une analyse d’opinion de Cherly Abou Chabke, auteur
27 Juillet, 2020
L’année 2020, revêt une importance fondamentale pour les États-Unis, qui verront se dérouler le mardi 3 novembre les élections présidentielles. Comme l’affirme Alexis de Tocqueville, ces dernières sont emblématiques d’une "véritable époque de crise nationale", caractérisée par un temps de vifs débats, meetings, discours, et d'une campagne très active tant les enjeux sont importants. Ces dernières sont conçues désormais comme étant un moment clé dans la vie politique internationale, puisque le président élu sera le chef de l'État le plus puissant du monde, et s'imposera comme l'une des figures incontournables au niveau global. Pour les États-Unis des élections libres et honnêtes constituent la clé de voûte de toute démocratie. Cependant, ce processus ne manque pas de susciter des critiques et des opinions mitigées au regard de certains de ses aspects qui occultent la réalité du système durant cette période charnière. Effectivement, la teneur démocratique des élections semble être le sujet de nombreuses controverses, notamment suite à l’affaire Bush vs Galore en 2000, qui avait finalement été tranchée par la Cour Suprême à une majorité de 5 contre 4 ; vient s’ajouter à cela la question de financement et le vote au suffrage indirect. Néanmoins, ce qui s’avère intéressant dans notre situation actuelle, est l’ascension d’une nouvelle pléthore d’enjeux, ayant placé le candidat en question devant un moule d’obstacles de différentes natures. Cet essor fut favorisé par l’ère du numérique qui a ouvert la porte à de nouveaux moyens d’influence, bouleversant ainsi le dogme.
Dans un contexte de vives tensions entre Washington et Pékin, l'application chinoise TikTok, est à la une des journaux, non pas pour son succès incontestable quant à ses vidéos amusantes, mais plutôt, pour l’étendue de sa portée sur la campagne électorale du candidat républicain Donald Trump.
Le meeting de ce dernier à Tulsa le 20 juin 2020qui n'a pas réuni la foule escomptée synthétise parfaitement l’influence de l’application chinoise sur le processus électoral américain. Sur les quelque 19.000 sièges du BOK Center - salle où avait lieu ce rassemblement- environ un tiers des sièges étaient vides ; malgré la conviction du succès de l’événement par l’équipe de campagne du président qui avait prédit une « affluence record », en se basant sur les plus d’un million de tickets distribués.
Comment expliquer cet échec ?
Faut-il blâmer la polémique sur les risques de propagation du Covid-19 ou « les manifestants « radicaux » qui ont dissuadé les sympathisants du candidat à la présidentielle de novembre prochain », comme l'a évoqué un porte-parole de Trump ?
Ces hypothèses formulées sont loin d’être conformes à la réalité : C’est l’explication donnée par les TikTokeurs à laquelle nous nous intéresserons.
Effectivement, ces derniers prétendent avoir eux-mêmes « saboté » le meeting en réservant en ligne des dizaines de milliers de tickets avec l'intention de ne pas s'y rendre, laissant des gradins clairsemés et des bancs complètement vides.
Par le biais de vidéos publiées tout au long d’une semaine, ces adolescents anti-Trump, expliquèrent avec ironie comment réserver des sièges pour laisser des places inoccupées en contournant les modalités de l’inscription.
Cette opération de sabotage a également été relayée par la communauté en ligne de fans de K-Pop. Le 11 juin, l'équipe de Trump avait effectivement incité ses militants à s'inscrire à travers leurs smartphones. Selon le New York Times, des fans de K-pop ont alors diffusé le message en masse, encourageant leurs «followers» à s'inscrire, afin d'éviter la venue des réels soutiens du candidat républicain.
Les adolescents ont également eu recours à d'autres réseaux sociaux comme Snapchat et Instagram pour soutenir leur cause. Le témoignage d’une jeune fille de 18 ans dans le New York Times illustre cette affirmation. Cette dernière a « réservé deux tickets, poussé ses parents à en réserver deux autres, et incité un grand nombre de ses amis à en faire de même ; via une story Snapchat ».
De la sorte, plusieurs ont considéré que « l’opération Tulsa » a pu révéler un certain fossé générationnel entre la génération Y, « les millénaires » (1981-1996) ; et « les zoomers » ou Gen Z (1996-aujourd’hui); fossé pouvant se traduire lors de l’élection des grands électeurs.
L'influence de cette mobilisation a fait écho sur les réseaux sociaux et a engendré de multiples réactions, y compris chez les démocrates. « En réalité, des adolescents sur le réseau TikTok se sont joués de vous en inondant la campagne de Trump de fausses réservations de tickets pour vous faire croire qu'un million de gens voulait voir votre suprémaciste blanc et vous forcer à réserver un stade pendant le Covid », s'est moquée la députée démocrate Alexandria Ocasio-Cortez.
Il est important de constater que les actions entreprises par la Gen Z, surtout par l’intermédiaire de TikTok, ont été exacerbées par la situation turbulente entre les 2 géants américains et chinois menant ainsi l’administration Trump à douter de la légitimité de plusieurs applications chinoises.
En effet, dans un contexte assez ardu entre la Chine et les États-Unis, le président américain Donald Trump le 7 juillet, et Mike Pompeo le 6 juillet ont exprimé la possibilité de bannir l'application chinoise TikTok en raison de soupçons d'espionnage ; malgré le fait que la plateforme ait auparavant clarifié la nature de ses liens avec la Chine où sa maison-mère possède une application semblable, sous un nom différent (ByteDance). Elle a toujours nié partager des données avec les autorités chinoises et assuré ne pas avoir l'intention d'accepter des requêtes pareilles: "Elle est dirigée par un PDG américain, avec des centaines d'employés et de cadres (...) ici aux Etats-Unis", "Nous n'avons jamais fourni de données sur les utilisateurs au gouvernement chinois et nous ne le ferions pas si cela nous était demandé", a formulé un porte-parole du groupe cité par l'agence Bloomberg. En dépit de ces menaces, TikTok a déclaré « le lancement d'une plateforme permettant à des PME de créer des clips de publicité propres à l'application ».
Suite à cette annonce, des utilisateurs de l’application ont décidé de partir en guerre contre Trump, en publiant des vidéos incitant les auditeurs à « Aller sur l’app store « Official Trump 2020 », et laisser une note d’une étoile et une mauvaise critique, pour sauver TikTok ». Cette initiative a effectivement abouti à la baisse des notes de l’application du président : ayant obtenu 3,9 étoiles sur 5 le 24 mai, l’application n’en avait plus que 1,2 le 10 juillet. L’objectif ultime de ces « TikTokeurs » est de faire en sorte qu’Apple supprime l’application. Il est pourtant évident de soulever le fait que la firme à la pomme -Apple- ne retirera sans doute pas l’application juste parce qu’elle a de mauvaises notes, mais cette démarche n’est pas dénuée de sens et porte un coup à la stratégie politique de Trump, vu que son application vise à le mettre en lien direct avec ses électeurs (sans passer par Facebook ou Twitter).
L’application chinoise WeChat (semblable à Whatsapp) n’est pas à l’abri de ces menaces. Le conseiller de la Maison Blanche pour le commerce - Peter Navarro- a affirmé le 12 juillet attendre du président américain Donald Trump une « action forte » à l'encontre des applications chinoises WeChat et TikTok, qui selon lui « envoient toutes les donnéesvers des serveurs en Chine, directement chez les militaires chinois, le parti communiste chinois, et les agences (officielles) qui veulent voler notre propriété intellectuelle ».
Il s’avère crucial de remarquer ensuite, dans cette ambiance épineuse, les répercussions de cette annonce et de ce « soupçon d’espionnage » au niveau de l’économie, des firmes et entreprises nationales qui ont pris position sur cette question.
L’action controversée envisagée par le géant américain de la distribution en ligne « Amazon » est l’archétype de cette réaction : le 10 juillet, ce dernier a envoyé un e-mail à ses salariés, leur demandant d’effacer TikTok de leurs téléphones mobiles, et a affirmé plusieurs heures plus tard qu’il était parti « par erreur ». Selon Peter Navarro : « Ils ont annoncé cela et ont fait marche arrière, ce qui montre le pouvoir du parti communiste chinois sur les entreprises américaines, et c'est le problème»,
De surcroît la banque américaine « Wells Fargo » a entamé la même démarche en demandant à ses salariés ayant installé TikTok sur leur téléphone professionnel de la supprimer. Les évènements récents ont tellement secoué le processus électoral que les équipes de la campagne démocrate pour l'élection présidentielle américaine ont aussi été sollicitées de l'utiliser avec beaucoup de précaution, à partir d’un téléphone différent.
« Il y a un certain nombre de fonctionnaires de l'administration qui examinent le risque pour la sécurité nationale en ce qui concerne TikTok, WeChat et d'autres applications susceptibles d'être exposées à la sécurité nationale, en particulier en ce qui concerne la collecte d'informations sur les citoyens américains, par un adversaire étranger » , a déclaré le chef d'état-major de la Maison Blanche, Mark Meadows, le 15 juillet.
"Je ne sais pas s'il y a un délai auto-imposé en termes d'action, mais je dirais que nous envisageons des semaines, pas des mois", a-t-il ajouté.
Une semaine après avoir déclaré que son administration "envisageait" d'interdire l'application vidéo TikTok aux États-Unis, le président Donald Trump a réclamé le mérite d'avoir personnellement contrecarré les plans d'expansion d'une autre société de technologie affiliée à la Chine : Huawei. "Nous avons convaincu de nombreux pays, et je l'ai fait moi-même pour la plupart, de ne pas utiliser Huawei, car nous pensons que c'est un risque pour la sécurité", a déclaré Trump lors d'une conférence de presse à la Maison Blanche mardi.
Comparé à Huawei, TikTok peut sembler une opération complètement différente. Plus important encore, il n'a pas accès aux réseaux d'infrastructures critiques qui sont au cœur de la sécurité nationale, a déclaré James Lewis, expert en cybersécurité au Center for Strategic and International Studies. TikTok, pour sa part, recueille des informations personnelles sur de nombreux Américains ; données qui, selon des législateurs, pourraient nuire à la sécurité nationale si elles se retrouvent en la possession de gouvernements étrangers hostiles. Dans cet esprit, les décideurs politiques ont proposé d'interdire TikTok des appareils du gouvernement américain. Alors que ce dernier serait bien dans ses droits de définir des politiques fédérales sur le lieu de travail concernant TikTok, il est moins clair comment il pourrait forcer les États ou le secteur privé à emboîter le pas, bien qu'il ne soit pas obligé de le faire.
Pour garder TikTok hors des magasins des géants américains de la technologie, Trump pourrait chercher à placer l’application controversée sur la même liste de surveillance du département du commerce, lequel s’était également occupé de Huawei. Néanmoins, cette décision pourrait être juridiquement inexacte, car les entités inscrites sur la liste auraient généralement violé les lois ou les règles relatives au commerce, au contrôle des armes ou au vol de propriété intellectuelle.
Nous ne savons toujours pas exactement quel sera le sort de TikTok aux États-Unis, mais il y a sans conteste une hostilité envers l’application. Cela a incité cette celle-ci à étendre rapidement sa présence à Washington. La société a élargi son équipe dans la région et créé des soi-disant "centres de transparence" dans la capitale nationale et à Los Angeles « afin que les législateurs et les experts invités puissent voir par eux-mêmes comment nous modérons le contenu et conservons les données de nos utilisateurs ».
Que ce soit par le biais de Tiktok, de Twitter, d’Instagram ou de Snapchat, il est évident que la Gen Z est prête à déployer toutes ses ressources afin de galvauder les efforts fournis par le parti actuellement présent à la Maison Blanche. Cependant, seront-elles suffisantes pour bousculer les votes en faveur du camp démocrate ? Est-ce que le désir de bannir TikTok jaillit vraiment de bases fondées sur la sauvegarde de la sécurité nationale, ou est-il simplement une autre stratégie de l’administration Trump pour contrebalancer l’influence des jeunes sur la campagne électorale du candidat républicain ?