Le gouvernement Castex, éruption du féminisme français

Une analyse, Nour Lana Sophia Karam, auteur

21 Juillet, 2020

Manifestation féministe à Nantes pour dénoncer la désignation de Gérald Darmanin au ministère de l'Intérieur et d’Éric Dupond-Moretti au ministère de la Justice. Source : Loic Venance/AFP

Manifestation féministe à Nantes pour dénoncer la désignation de Gérald Darmanin au ministère de l'Intérieur et d’Éric Dupond-Moretti au ministère de la Justice. Source : Loic Venance/AFP

Le 2 mars 2017, lors de la présentation de son programme électoral, Emmanuel Macron promettait qu’il ferait de l’égalité entre hommes et femmes l’un de ses six chantiers s’il serait élu. Il qualifiait ce sujet « d’absolument fondamental ». Rappelant que les femmes font souvent l’objet de violences et de harcèlement, il se vouait à suivre cette cause notamment dans le cadre des nominations politiques qu’il entreprendrait.

Le 7 mai 2017, c’est lui qui remporte les élections présidentielles face à sa rivale d’extrême droite Marine Le Pen.

Le 25 novembre 2018, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le fondateur de La République en Marche ! décrète le lancement de la grande cause du quinquennat ; la violence contre les luttes sexuelles et sexistes en étant la « première priorité ». Mot pour mot, ce dernier proclama qu’il sera « personnellement attentif à ce que cette grande cause remplisse pleinement sa fonction : celle de faire de notre société [la société française, N.D.R] une société plus égalitaire et plus juste ». 

Si, trois ans de mandat plus tard, le président de la République française a tenu la plupart de ses engagements en la matière, il semblerait que depuis le dévoilement au grand public du nouveau gouvernement Castex le 6 juillet 2020, ses actions soient remises en question ; et pour cause, les nominations de Gérald Darmanin et d’Éric Dupond-Moretti, respectivement ministre de l’Intérieur et ministre de la Justice.

 

C’est au grand dam des féministes que ces deux hommes font désormais partie du gouvernement français qualifié aujourd’hui par ses détracteurs de « Gouvernement de la Honte » voire de « Gouvernement du viol ». Afin de mettre en exergue leur indignation, plusieurs milliers de manifestants ont protesté le vendredi 10 juillet à travers toute la France contre leur présence au pouvoir. 

 D’une part, Gérald Darmanin a été accusé d’abus de faiblesse en 2015. Ce délit, dont dispose l’article 223-15-2 du Code Pénal Français, se définit juridiquement comme étant « le fait de profiter de la vulnérabilité, de l’ignorance ou de l’état de sujétion psychologique ou physique d’une personne afin de la conduire à faire des actes ou s’abstenir d’en faire d’autres sans pouvoir en apprécier la portée ». C’est ainsi qu’une femme avait estimé que Darmanin, alors maire de Tourcoing, l’avait obligée à des relations sexuelles en échange de l’obtention d’un emploi par celle-ci. L’absence de consentement de la demanderesse n’ayant pas été établie ; l’enquête avait été classée sans suite en mai 2018. 

 

Le nouveau premier flic de France a également été accusé de viol, harcèlement sexuel et abus de confiance en janvier 2018 par une femme, Sophie Patterson-Spatz, ancienne call-girl née Olga Patterson. Elle estime que les faits auraient eu lieu neuf ans plus tôt, alors qu’elle avait contacté le siège de l’UMP (parti politique aujourd’hui dénommé ‘Les Républicains’) dont Darmanin était à l’époque chargé de mission au service des affaires juridiques. Celui-ci aurait accepté de l’aider dans un dossier qu’elle lui avait exposé à condition d’octroi par elle de faveurs sexuelles. S’en suivit un rapport sexuel non consenti, selon la plaignante. Trois plaintes se succèdent dans le cadre de ces accusations : les deux premières sont classées sans suite tandis que la troisième débouche en août 2018 sur le prononcé d’un non-lieu à poursuivre, se définissant comme « l’abandon par un juge d’instruction d’une action judiciaire en cours, en cas d’absence d’éléments justifiant la poursuite d’une quelconque action pénale. » Sophie Patterson-Spatz tente de faire appel, en vain, face au non-lieu prononcé en faveur de Darmanin. Malgré ceci, la Cour de Cassation ordonne en novembre 2019 à la chambre d’instruction concernée de réexaminer la validité du non-lieu. En juin 2020, la cour d’appel de Paris intime l’ordre de reprendre les investigations sur les trois délits dont est accusé le ministre. 

C’est dans ce contexte mitigé et en pleine période de reprise d’enquête à son encontre que Darmanin prend les rênes du ministère de l’Intérieur. 

L’opposition des mouvements et des militants féministes à sa nomination s’explique notamment par le conflit d’intérêts existant entre le fait qu’il soit mis en cause et sa fonction de ministre de l’Intérieur, laquelle lui donne la prérogative de diriger les services d’enquête ; notamment ceux chargés d’investiguer la plainte dirigée à son encontre.

 

D’autre part, Éric Dupond-Moretti est un ex-avocat pénaliste qui soulève un tollé parmi ses confrères depuis qu’il a été nommé garde des sceaux. Sa relation avec la majorité de ceux-ci est houleuse notamment à cause de ses critiques qu’il ne manquait pas de leur adresser. Aussi, impopulaire en raison de sa défense de violeurs et d’auteurs de féminicides-terme que celui-ci ne reconnaît d’ailleurs pas ; ainsi que de sa tenue de propos sexistes et misogynes, Dupond-Moretti aurait, à plus d’une reprise, fait la promotion du harcèlement de rue en affirmant que « les femmes regrettent de ne plus être sifflées ». Il s’était ainsi élevé contre la création du délit d’outrage sexiste. Aussi, ce dernier a de tout temps eu des positions sévères sur le combat des féministes ou le mouvement #MeToo, mouvement social dont le but est d’encourager la prise de parole des femmes victimes de viol et/ou d’agressions sexuelles et de leur permettre de s’exprimer sur le sujet. L’équivalent en France de ce mouvement international -dont la première campagne a été lancée en 2007 aux États-Unis- est le hashtag #BalanceTonPorc popularisé par Sandra Muller. Ce mouvement a été banalisé par Éric Dupond-Moretti, estimant que « tous les hommes ne sont pas des prédateurs, même s’il y en a » et ajoutant que si « le mouvement #MeToo a permis de libérer la parole […], il y a aussi des ‘follasses’ qui racontent des conneries ». 

Les féministes lui reprochent alors son « désintérêt et ses attaques ». Le 7 juillet 2020, lors de la passation de pouvoir avec Nicole Belloubet, il promet de faire de son ministère « celui de l’antiracisme et des droits de l’Homme ».

 

Ce sont ces circonstances qui ont poussé les manifestants -majoritairement des femmes- du 10 juillet 2020 à répondre à l’appel national lancé sur les réseaux sociaux par le collectif féministe Nous Toutes, qui s’occupe de l’organisation d’évènements féministes faisant ressortir la colère de celles dont la voix a trop longtemps été étouffée. C’est surtout « La culture du viol En Marche » -expression retrouvée sur les panneaux brandis par les protestataires- qui est dénoncée.

De plus, une pétition rassemblant à l’heure actuelle plus de 103 000 signatures et créée par une activiste féministe, Bettina Zourli, demande la démission de Darmanin ainsi que celle de Dupond-Moretti. Plus généralement, elle demande « que les membres du gouvernement ne soient pas impliqués dans aucune affaire, de surcroît quand il s’agit de viol, de racisme, d’actes misogynes, et/ou LGBTQIA+phobes ».

 

Lors de son entretien donné le mardi 14 juillet à l’occasion de la fête nationale, Emmanuel Macron, se proclamant comme le garant de la présomption d’innocence, prend la défense de Gérald Darmanin. Il estime qu’il n’a ni été mis en examen, ni placé sous contrôle judiciaire. Au sujet de la reprise des investigations décidées par la cour d’appel de Paris en juin 2020, il déclare simplement qu’il s’agit plus d’une procédure relevant de la forme que du fond. Aussi, 167 parlementaires prennent sa défense, estimant « qu’accusation ne vaut pas condamnation. » De plus, le cabinet du ministre de l’Intérieur a lui-même affirmé qu’aucun conflit d’intérêts ne se présentait quant à sa nomination, puisque Darmanin aurait signé « une lettre de déport sur l’instruction le concernant » le jour de sa prise de fonction. Quant aux faits de l’affaire, le ministre mal aimé ne les nie pas mais déclare que sa relation sexuelle avec Sophie Patterson-Spatz avait été librement consentie par celle-ci.

 

Quant à Dupond-Moretti, il se prononce le 17 juillet 2020 lors d’une visite au Tribunal judiciaire de Paris sur les derniers développements. Il estime n’avoir « jamais eu de langage sexiste ». De même, il n’hésite pas à venir au secours de son collègue en affirmant « qu’un homme, tant qu’il n’a pas été définitivement condamné, est présumé innocent. »

Le fait que Darmanin soit dans le viseur de la justice et que Dupond-Moretti ait choqué par son franc-parler fait-il réellement d’eux des « victimes d’un jugement de rue ou de réseaux sociaux » comme s’en est indigné le président de la République française Emmanuel Macron ? 

Les femmes ne sont-elles pas plus victimes d’agressions que les hommes politiques de « jugement de rue » ?

La justice française serait-elle en train de flancher en ce qui concerne la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ? Le mandat d’Emmanuel Macron serait-il graduellement en train de fléchir face à sa sourde oreille ? La Grande Cause du Quinquennat serait-elle en train d’être petit à petit enterrée ?

 

La levée de boucliers des manifestantes féministes n’est pas un événement anodin. C’est le cri de celles qui, ensemble, sont plus fortes qu’un bataillon.

C’est le rugissement de celles dont l’honneur a été ôté dans le silence. 

C’est le grondement de leur colère qu’elles ne veulent plus contenir en elles.

C’est le cri de leur libération.

« Le féminisme n’a jamais tué personne. Le machisme tue tous les jours. » Benoîte Groult

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