Sartre : Au secours - Comment Sartre peut nous aider, maintenant plus que jamais
Analyse d’opinion de Nadim Choueiri, rédacteur
Avril 16, 2021
Il y a bien une seule chose de laquelle nous pouvons être sûrs en tant que Libanais aujourd’hui :
Que l’on soit expert en la matière (et Dieu s’il y en a), ou simple étudiant, nous ne saurons jamais ce qu’il se passe dans les coulisses de la scène politique libanaise.
Nous ne saurons jamais ce qu’il se passe dans les coulisses d’une tragédie de laquelle nous sommes les premiers affectés, les acteurs principaux, des acteurs qui vont de malheur en malheur, et qui ne savent pas quand la descente va s’arrêter.
Ceux qui nous ont piégés dans cette situation-là ne font aucun effort pour tenter de nous en sortir, et encore pire, ils ne font même pas l’effort de communiquer avec nous, pour essayer de nous aider à prévoir d’où viendra le prochain coup dur. De leur part, aucune empathie, aucune compassion. Aucune pitié.
Alors soit.
Que faire ? Se tourner vers la philosophie, parce que comme toujours, elle possède des éléments de réponse qui ne peuvent que nous aider dans notre parcours quotidien.
Quelle philosophie ? Celle de Jean-Paul Sartre. Sa philosophie existentialiste. Celle qui affirme que « L’Homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait », que le destin de l’Homme est entre ses propres mains. Maintenant, plus que jamais, cette philosophie peut nous aider à sortir du gouffre – du moins mentalement.
L’existentialisme de Sartre : Quels sont ses fondements ?
Nous pourrions résumer la philosophie existentialiste de Sartre en une phrase que nous trouvons dans L’existentialisme est un humanisme (qui est un essai philosophique paru en 1946) :
« Un homme s’engage dans sa vie, dessine sa figure, et en dehors de cette figure il n’y a rien ».
Ainsi, nous nous faisons nous-même : rien ne vient prédire ce que nous sommes, ou ce que nous serons, à part nous-mêmes.
Toutefois, il est important d’expliciter deux concepts qui nous aideraient à comprendre davantage la profondeur de cette philosophie, pour mieux en constater l’impact et le pouvoir.
Sartre oppose les deux concepts de « en-soi » et de « pour-soi » :
L’en-soi est pour Sartre tout ce qui appartient au monde physique, au monde de l’essence : tout ce qui a une fonction prédéterminée. C’est le monde des choses et des objets, qui ont un but précis et concis, et qui se limitent à cela.
Le pour-soi est au contraire le monde de l’existence, et c’est le monde de l’Homme. Ainsi, l’Homme, selon Sartre, n’aurait pas d’essence, n’aurait aucun paramètre qui le prédétermine, et doit lui-même se créer, créer son essence, dessiner sa figure, ce qu’il est, pour ainsi en revenir à Sartre. Ce serait l’Homme lui-même qui décide de ce qu’il est, et de son destin par la suite.
Nous retiendrons donc de cela qu’il y a l’en-soi face au pour-soi, et l’essence face à l’existence. Ce qui est déterminé, établi, face à ce qui se crée, ce qui se dessine.
Face à l’existentialisme, le quiétisme
Cette doctrine existentialiste de Sartre ne plait pas à tout le monde. Nous connaissons tous certains qui préfèrent rester inactifs, ou quiets – comme le dit Sartre – en blâmant les circonstances. Que de fois nous entendons : « Je n’ai pas pu à cause de… », ou encore : « C’est le destin qui veut cela. J’aurais bien voulu, mais c’est comme ça. Il n’y a rien que je puisse faire ».
Cette attitude-là, c’est celle que Sartre résume en l’idée de quiétisme.
Pour Sartre, le quiétisme est cette attitude qui pousse l’un à dire : « les autres peuvent faire ce que je ne peux pas faire » (une phrase que nous retrouvons encore une fois dans L’existentialisme est un humanisme).
Un individu dit quiet va blâmer les circonstances pour justifier son manque d’action, ou encore, justifier sa « misère », comme le dit Sartre. Il justifie son inaction en jetant la faute sur les circonstances : « C’est à cause de ceci ou de cela, de X ou de Y ».
Pour Sartre, plusieurs individus tenteraient ainsi, comme par lâcheté, de se joindre au monde de l’essence que nous avons évoqué plus haut : ils veulent être prédéterminés, limités.
Pourquoi ? Parce que cela est une voie facile pour se justifier, justifier ses fautes, ses bévues. Encore, que de fois nous entendons : « Ce n’est pas ma faute, c’est la faute de X ou de Y ».
Le quiétisme, à la mode au Liban
En renonçant au monde de l’existence, ces individus quiets tentent d’échapper à leurs responsabilités, d’une certaine manière, en se classant dans le monde de l’essence. Ils renoncent à l’action, et choisissent l’inaction en blâmant les circonstances préexistantes, en se fixant des limites, volontairement.
Il est difficile de continuer à lire ces lignes sans penser, ne serait-ce qu’un instant, au cas du Liban.
Les discours de certains de nos dirigeants, qui viennent moult fois se plaindre sur les médias des raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas agir pour le bien, ou pour lesquelles ils n’arrivent pas à faire un changement positif. Encore une fois, le fameux « Je n’ai pas pu à cause de… ».
Pour Sartre, cela serait pour eux « la seule manière de supporter leur misère ». Cela en dit en gros sur la plupart de nos dirigeants. Plus ils sombrent dans leur quiétude (en termes Sartriens), plus ils dévoilent au grand jour la misère dans laquelle ils baignent.
Face à eux et leur politique de l’inaction, de la misère : en termes Sartriens et littéralement, les Libanais lutteurs, les Libanais partisans de l’action, partisans de l’existentialisme.
“Ce que dit l’existentialiste, c’est que le lâche se fait lâche, que le héros se fait héros; il y a toujours une possibilité pour le lâche de ne plus être lâche, et pour le héros de cesser d’être un héros”
Nous sommes ainsi face à un choix, celui d’être dans l’action et d’agir en conséquence, se rangeant ainsi sous le signe de ceux qui croient en l’existentialisme, ou se ranger du côté de ceux qui n’agissent pas, qui blâment les circonstances avoisinantes, et de ceux-là, il n’y a que trop.
“Il n’y a pas de doctrine plus optimiste, puisque le destin de l’homme est en lui-même”
C’est de cette manière-là que Sartre peut aujourd’hui nous aider, surtout les Libanais. Quand les coups se font trop durs, et l’oreille de ceux qui les portent trop sourde, il reste une partie de nous-même qui sait, qui se rappelle que notre destin n’est nulle part autre qu’entre nos propres mains. Tout nous est possible.