Rodrigo Duterte, le Trump d’Asie et sa guerre contre la drogue
Une analyse d’opinion de contributeur Romy Kehdi, contributeur
Octobre 14, 2020
Une guerre contre la drogue, « War on drugs » a lieu aux Philippines depuis la prise du pouvoir par le président Rodrigo Duterte en 2016. L'expression « guerre contre la drogue » est utilisée pour désigner une série d'actions, menées par le gouvernement, visant à mettre fin à l'utilisation, à la distribution et au commerce de substances illégales.
L'expression est apparue pour la première fois en juin 1971 lors d’une allocution du président américain Richard Nixon, annonçant publiquement le déclenchement d’une guerre contre la drogue, en la dénommant « l’ennemi public numéro un ».
Quarante-neuf ans plus tard, cette guerre est toujours en cours en Amérique, entrainant une incarcération de masse et octroyant aux États-Unis le label du pays avec le plus grand nombre de prisonniers au niveau international. En effet, on remarque un record de 25% de la population incarcérée, bien que, dans d’autres États, ce chiffre ne représente que 5% de la population. D’emblée, le « Drug Policy Alliance » nous informe que le gouvernement américain consacre environ 47 millions de dollars par an pour la guerre contre la drogue.
Néanmoins, cette politique a-t-elle réduit le nombre d'utilisateurs dans les États? La fin justifie-t-elle les moyens ?
Les ingénieurs de cette prohibition ont fait valoir que des politiques efficaces conduiraient à une diminution de la quantité de médicaments produits et donc à une augmentation des coûts. Ce cercle s’enchaîne avec une baisse du nombre d'utilisateurs qui n'ont plus les moyens d'acheter les substances. Néanmoins, force est de constater que les résultats espérés sont loin d'être atteints ; la consommation de drogue n'a simplement pas diminué. Certains soutiennent que la guerre contre la drogue a échoué principalement parce qu'elle a négligé le fait que la consommation de stupéfiants n'est pas sensible aux prix. La guerre s’opère comme une taxe sur les fournisseurs, elle augmente le prix de la production ; cependant, les « toxicomanes » sont prêts à payer le prix plus élevé même avec le risque accru d'emprisonnement. En effet, les toxicomanes ne sont pas aussi préoccupés que le consommateur moyen en ce qui concerne les coûts. En outre, la guerre contre la drogue a encouragé les producteurs à accroître leur production car ils peuvent facturer davantage leurs produits. L'économiste américain Mark Thornton a écrit dans son livre « The Economics of Prohibition » que la politique réduit l'écart de prix entre les médicaments les moins puissants et les plus puissants parce que le coût d'éluder l'application de la loi est le même quelle que soit la puissance. Ainsi, l'interdiction n’a qu’encouragé les utilisateurs à consommer des drogues plus dangereuses.
C’est alors que la guerre contre la drogue aux États-Unis a été qualifiée d’une des politiques les plus ratées des États.
Cependant, ce combat aux Philippines a été reconnu comme un « succès ». Le président Duterte, ancien maire de Davao City, a inauguré sa guerre contre la drogue à une plus petite échelle, faisant de la ville sa «pièce A». Son leadership a conduit à la diminution des taux de criminalité et par conséquent, la ville de Davao est aujourd’hui considérée comme l'un des endroits les plus sécurisés des Philippines. Le «succès» de la guerre contre la drogue de Duterte réside dans le fait que, alors que Nixon ciblait l'offre plutôt que la demande en créant une sorte de «taxe sur les drogues», Duterte a opté pour une stratégie plus simple: tuer les toxicomanes. De manière très hitlérienne, le président, qui s'est jadis comparé au leader nazi, préférerait massacrer les êtres humains, plutôt que de leur donner la chance de se réhabiliter. Le président a admis en 2018 que le « seul péché » qu'il a commis pendant son mandat était les « exécutions extrajudiciaires ». Il a également proféré plusieurs menaces aux trafiquants de drogue, notamment en énonçant de manière explicite «je vais vous tuer» plus récemment en mai 2020. La police a annoncé, en mars 2019, que le nombre de meurtres dans la guerre du président contre la drogue était supérieur à 29 000; crimes qui, selon Amnesty International, pourraient être qualifiés de «contre l'humanité» selon le droit international.
Malgré un comportement antérieur peu orthodoxe, y compris des blagues sur un viol collectif en 1989 en disant « elle était si belle […] le maire aurait dû être le premier » et en qualifiant l'ancien président américain Obama et le pape François de «fils de putes», un sondage indépendant a révélé que 77 % des gens étaient satisfaits de la performance de leur président fin 2016. Ainsi, certains pensent qu'il a mérité le titre de «Trump d'Asie» pour être l'une des figures politiques les plus dangereuses des temps modernes.
La guerre contre la drogue de Nixon avait un programme politique clair. Son conseiller, John Ehrlichman, a déclaré: «Nous savions que nous ne pouvions pas rendre illégal le fait d'être contre la guerre ou les Noirs, mais en amenant le public à associer les hippies à la marijuana et les Noirs à l'héroïne, puis en criminalisant fortement les deux, nous pourrions perturber ces communautés. Nous pourrions arrêter leurs dirigeants, attaquer leurs maisons, interrompre leurs réunions et les diffamer nuit après nuit aux nouvelles du soir. Savions-nous que nous mentions à propos de la drogue? Bien sûr, nous l'avons fait. » En fait, la plupart des politiques et lois sur les drogues ont été mises en œuvre pour cibler une certaine communauté. Les premières lois anti-opium des années 1870 s'adressaient aux immigrants chinois, les premières lois anti-cocaïne des années 1900 étaient axées sur les hommes noirs dans le sud et la liste continue.
Dans ce contexte, il s’avère important de s’interroger ; quel est l’agenda politique derrière la guerre contre la drogue de Rodrigo Duterte ?