Explosion de Beyrouth: la science fait le point !
Une analyse d’opinion de Edward Sfeir, auteur
Août 31, 2020
Avec le chaos qui règne partout et les divers avis politiques, il est assez difficile pour nous de nous y retrouver. C’est là qu’un état des lieux scientifique, objectif et précis serait d’une grande aide pour « retrouver le Nord » !
4 août 2020, tout le monde profitait de sa journée de « déconfinement » avant de retourner au fameux « Lockdown ». À18 :07, un tremblement de Terre suivi d’une énorme détonation frappèrent la capitale et le reste du pays à des kilomètres à la ronde ; faisant de cette explosion. La troisième plus grande explosion de l’histoire de l’humanité, après celles de Hiroshima et Nagasaki. Accident, raid Israélien, irresponsabilité politique… peu importe ! Ce qui est fait est fait. Aujourd’hui pas de place à la politique, seule la science (ou les sciences) aura (ou auront) le droit à la parole.
Que l’on parle de pollution de l’environnement, de risques sur la santé humaine (aussi bien santé psychologique que physique) ou même de majeurs problèmes sociaux et de grandes pertes au niveau économique et matériel ; l’explosion de Beyrouth aura laissé bien des dégâts.
Environnement et pollution : à quoi s’attendre ?
C’est le Pr. Charbel AFIF, Chef de département de Chimie à la Faculté des sciences de l’Université Saint Joseph de Beyrouth (USJ) et expert en environnement, qui sera interviewé dans cette perspective.
Fréquemment utilisé comme engrais chimique tout comme matière première pour la manufacture de bombes, le nitrate d’ammonium est un produit dangereux à utilisation double. Des règlementations mondiales conditionnent sa production, son importation, son utilisation ainsi que son stockage.
« La molécule d’ammonium (NH4NO3), en se décomposant va surtout fournir de l’oxygène, un comburant favorisant les explosions. Il ne manquait qu’une température élevée pour déclencher le mécanisme réactionnel » avance le chercheur,qui rajoute que le nitrate d’ammonium en lui-même n’est pas cancérigène.
C’est l’un des produits de la réaction, le dioxyde d’azote (NO2) qui a donné la couleur orange au nuage de fumée. Ce dernier irrite particulièrement les voies respiratoires et les yeux, et c’est également un gaz à effet de serre indirect et un précurseur de pluies acides.
Il précise ensuite qu’il n’y a, à l’heure actuelle, aucune identification prouvée de la voie d’initiation de la réaction faute de données précises.
« Vu la vitesse de dégagement du nuage, une partie des gaz rejetés lors de l’explosion s’est injectée dans la troposphère libre (une des couches de l’atmosphère) et ne reviendra donc pas à la surface de la terre au Liban. ! Elle va plutôt voyager vers les pays du Golfe Arabe. » explique-t-il. La vitesse et la direction du vent ont joué un rôle majeur dans la diminution de l’impact de la pollution de l’air de cette explosion sur la région, dans la mesure où le vent a dirigé les polluants vers la mer et leur a donc permis de se disperser dans la zone inhabitée humainement.
Quant à la vague horizontale du nuage, elle a apporté une quantité assez importante de pollution au sein de la capitale, « nous ne pouvons pas tirer de conclusions hâtives car nous ignorons toujours ce qui était présent au port en termes de produits chimiques » confirme-t-il.
La pollution de l’air est translatée de celle directe venant de l’explosion à celle indirecte due à la resuspension dans l’air des débris de déchets de construction qui contiennent des produits dangereux comme la poussière de verre, l’amiante, etc… présents dans les quartiers sinistrés. Le chimiste affirme ensuite qu’il ne faudrait pas s’attendre à un risque de pluies acides mais alarme contre un risque de pollution des nappes phréatiques. Le domaine de la pêche lui aussi sera affecté, les œufs de poissons seraient tous perdus et la pollution de l’eau de mer met en danger la vie marine.
Homme et santé, un peu de médecine :
« Avant de parler de n’importe quel risque, il devra y avoir un inventaire des substances pulvérisées. » stipule Dr. André Kozaily, chirurgien général, président du conseil administratif et directeur général de l’hôpital gouvernemental « Ftouh keserwan », qui cite ensuite trois risques : traumas corporels, blessures, cassures… ; risques à long termes et qui dépendent du degré de pollution ; traumas psychologiques, ayant un impact direct sur la santé mentale surtout chez les blessés qui garderont autant de cicatrices psychologiques que physiques.
Dr. Kozaily rappelle que la pandémie du coronavirus n’est pas terminée et que tous les volontaires doivent absolument prendre des précautions : « Les patients qui étaient dans les centres médicaux les plus touchés se sont vite trouvés à l’air libre et donc en contact avec n’importe quel passant. Et d’autres ont été transférés mais n’ont pas supporté le transport et sont décédés ! » continue-t-il.
Il enchaîne en affirmant que n’importe quelle pollution augmentera les chiffres en termes de cancer, « Depuis une décennie nous observons au Liban une flambée de cancers, à un tel point qu’il y a au moins une personne atteinte par famille. Les chiffres ne vont alors qu’augmenter avec cette explosion. » avance-t-il. Les problèmes sur la santé à envisager sont nombreux : problèmes digestifs, pulmonaires, d’articulations… « Il faudrait aussi s’attendre à une hausse des infections ainsi que plein d’autres symptômes liés à la situation de stress et de crise que subissent les gens. » conclutle médecin.
Santé mentale et psychologie.
« L’explosion était un choc pour la population, aussi bien pour les adultes que pour les enfants. Et cela va avoir un impact considérable sur le long terme. Les parents doivent être très prudents et conscients de leurs actes envers leurs enfants qui sont les plus touchés. » assure le Dr. Nicole ABSI HANI, psychologue clinicienne.
Elle poursuit en disant que les adultes sont l’image de leurs enfants et doivent donc préserver cette image tout en leur donnant de l’affection car c’est une période durant laquelle les plus jeunes auront besoin d’un plus grand attachement. « Il est très important de ne pas cacher la vérité à ses enfants en leur disant que c’était des feux d’artifice par exemple. Il est crucial de leur raconter la vérité sans pour autant entrer dans trop de détails. Il est aussi inévitable de les laisser s’exprimer, d’entendre leur avis et leurs craintes… Il faut aussi garder une routine : avoir une même durée de sommeil, un même moment de repas, aussi bien pour les adultes que pour les enfants.
Plusieurs symptômes peuvent apparaître de la peur du noir à l’isolation en passant par les maux de tête et d’estomac. » exprime-t-elle. L’experte continue avec les gestes de précaution à suivre avec les personnes les plus touchées :
1. Les écouter au cas où elles ont envie de parler de leur peine, mais toutefois il ne faut jamais les obliger à le faire.
2. Garder un rythme régulier de sommeil et d’alimentation afin d’avoir un maximum d’énergie pour faire face à la situation.
3. Ne pas avoir recours à la surconsommation d’alcool et de nicotine et ne surtout jamais prendre de calmants de façon anarchique et sans prescription médicale.
La psychologue ajoute qu’il est normal de ressentir des maux de têtes, une perte d’appétit, de la peine, de la rage ou même un sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir aider. L’experte conclut en conseillant de contacter le numéro d’urgence pour l’aide psychologique (1564) qui est là pour aider tout le monde.
« J’aimerais finir en disant que ce qui s’est passé est une catastrophe qui va laisser une empreinte chez nous tous, je présente aussi mes condoléances aux parents des victimes et souhaite un bon et rapide rétablissement aux blessés. » finit-elle.
Société et économie, des dégâts considérables.
« Jusqu’aujourd’hui, il n’existe encore pas de chiffres exacts pour évaluer les pertes. Mais vu l’ampleur des ravages on pourrait l’estimer à quelques milliards de dollars américains (USD). Pour réagir à tout cela, le Liban n’a qu’une seule option : demander une aide financière extérieure. Pour les pays extérieurs il y a des conditions politiques; et pour les organisations internationales tels que le FMI ou la Banque Mondiale, il y a des conditions économiques… » affirme Dr. Riad ABOU RAHAL, expert en économie, lors d’une interview pour The Phœnix Daily.
Il souligne ensuite qu’un changement catégorique de la gérance de l’État et du pays s’impose afin de recevoir des aides suffisantes : contrôler la corruption, le gaspillage… et surtout, une réforme administrative. Selon lui, 20% des citoyens de la grande majorité des pays du monde (surtout ceux développés) seraient des fonctionnaires contre 33% pour le Liban. Ces chiffres font assez peur et seraient au cœur du problème. « Il est impératif de commencer maintenant, pour obtenir des résultats dans quelques années. Reconstruire prend beaucoup plus de temps que construire. » ajoute-t-il d’un ton sérieux.
« Pour détruire un immeuble de dix étages, il ne me faut que vingt-quatre heures, or pour reconstruire ce même immeuble j’ai besoin de deux ou trois ans même si je travaille jour et nuit ! »
Le spécialiste avance qu’il y aura un impact considérable sur l’économie du pays, les pertes matérielles et humaines mises à part. Il dénonce également huit ans de recul économique ainsi qu’un taux de chômage de 70%... Il qualifie ceci d’effet« boule de neige » qui ne fait que prendre de l’ampleur. « Ce sont surtout les PME (petites et moyennes entreprises) qui sont touchées et qui auront le plus de mal à continuer. » réplique-t-il.
Les conséquences sociologiques ne sont pas des moindres, et se font d’ores et déjà ressentir avec une augmentation du taux de délinquance au niveau de la capitale. « Cela n’est pas dû à la pauvreté ; les gens avaient déjà une tendance à la délinquance, le milieu est juste devenu plus propice au développement de ces tendances. » explique Sanaa SFEIR experte en développement socio-économique.
« Deux autres phénomènes très liés : la pauvreté et le chômage qui sont cause et conséquence l’un de l’autre. Les personnes qui vivaient sous le seuil de pauvreté ont perdu leur logement et sont donc en grande difficulté économique,surtout si elles ont perdu leur emploi. Plusieurs personnes hors de la capitale seront aussi affectées car suite à la perte de leur emploi elles deviendront pauvres. » enchaîne-t-elle. La sociologue souligne une crise monétaire doublée d’une augmentation des dépenses, et d’une baisse -voire dans certains cas d’une absence- de revenus accablant les citoyens.
« La centralisation dans la capitale n’a pas beaucoup aidé, et a fait en sorte d’étendre les répercussions sociales au niveau de tout le pays. » dit-elle.
Madame Sfeir relève aussi un changement social remarquable et une « solidarité des citoyens libanais sans pareille » qui donnent de l’espoir.
Le soutien des sociétés internationales ne reste pas anodin lui non plus, surtout après le climat de désordre diplomatique que vivait le pays avec l’étranger ; l’incident était donc une sorte d’alarme qui a (en quelque sorte) remis les choses à leur place.
L’experte braque ensuite les feux sur le secteur éducatif en avançant que : « La reprise de l’activité éducative sera extrêmement difficile, surtout au niveau scolaire, les élèves sont déboussolés, les locaux détruits… Et la même chose s’applique aux universités dont la quasi-totalité est centralisée à Beyrouth. »
Elle confirme que la visite du Président Macron a joué un rôle décisif au niveau social, les citoyens ont pu se sentir plus en sécurité et plus écoutés.
« C’est le chef de l’État en personne qui vient et non pas un envoyé spécial. ». Ceci a encore plus renforcé les relations entre la France et le Liban.