Le Liban aujourd’hui et la France au 19ème siècle
Analyse d’opinion de Nadim Choueiri, rédacteur
Mars 12, 2021
Nous avons tous pensé à un moment que le fameux tableau de Delacroix, intitulé La Liberté guidant le peuple,représentait une scène de la Révolution de 1789. Mais détrompez-vous…
Il s’agit certes d’une scène de révolution française, non pas celle de 1789, mais plutôt celle de 1830 : la révolution de juillet, une révolution due à une situation politique ayant beaucoup à voir avec celle du Liban d’aujourd’hui, mais une révolution aux débouchées culturelles et sociales drastiquement opposées à celles du Liban du 21ème siècle.
La France au 19ème siècle (de 1815 à 1830)
Tout comme au Liban aujourd’hui, il s’agit en France à cette époque-là d’une réelle dispute politique avec plusieurs acteurs voulant gouverner, chacun à sa manière. Cela semble surtout être une régression par rapport à la cause pour laquelle les français s’étaient insurgés en 1789.
Après la période des Cent-Jours, Napoléon Bonaparte revient au pouvoir pour régner en empereur. Il s’agit en quelque sorte du retour à quelque chose de plus imposant que la monarchie de laquelle les Français s’étaient défaits grâce à leur Révolution.
Toutefois, Napoléon perd la bataille de Waterloo, et abdique par la suite.
Vient donc ensuite la Seconde Restauration, qui va mettre au trône Louis XVIII, à la tête d’un régime politique qui se veut d’être comme un mélange entre le régime ancien et les nouveaux idéaux issus de la Révolution. Mais encore, il s’agit toujours d’une monarchie. Constitutionnelle, certes, mais elle reste une monarchie.
Le roi Charles X succède à Louis XVIII, encore une fois en tant que roi, mais sera amené à abdiquer après la Révolution de juillet, celle des Trois Glorieuses, ayant duré du 27 au 29 juillet 1830. Après son abdication forcée par le soulèvement des Parisiens en réponse à certaines manœuvres politiques, il ne s’agit toujours pas de la fin de la monarchie, mais de l’avènement d’un nouveau roi : Louis-Philippe 1er, dit « roi des Français ».
Une situation politique comparable à celle du Liban
Nous noterons donc que le Français Lambda, ayant vécu, de près ou de loin, la Révolution de 1789, aura été témoin le siècle suivant d’abord d’un retour à l’empire, et ensuite d’un retour à la monarchie. En bref, après une révolution, un retour à la case zéro, à la case départ.
Il est difficile de lire cette phrase sans réfléchir ou avoir en tête le cas libanais. Après la Guerre civile, les acteurs mêmes de cette guerre-là sont revenus au pouvoir, non pas timidement, mais en toute fierté. Ces mêmes gens qui avaient détruit le pays en jouant à la Guerre étaient de retour, et cela va sans dire, sans penser une fois à demander l’avis du peuple libanais, qui est le seul à avoir réellement payé les conséquences de la Guerre : de son sang, de ses proches, et de tant d’autres choses.
Nous avons donc eu au Liban notre propre restauration. Non pas la restauration d’une monarchie, comme en France, mais plutôt d’une sorte d’oligarchie, formée d’individus qui sont arrivés au pouvoir grâce à une chose et une chose seulement : leurs actes pendant la guerre.
Le plus grave de tout cela est que le peuple libanais était tellement éreinté de la guerre de laquelle il sortait pour tenter de protester contre la reconversion de ces acteurs de la guerre en politiciens. Cela a donc créé une restauration en bonne et due forme, et qui ne sera pas la dernière, malheureusement.
Le 17 octobre 2019, éclate notre propre révolution, qui viendra dénoncer la corruption et les abus de pouvoir de la classe dirigeante. Toutefois, un an et quelques mois plus tard, tout comme les Français au 19ème siècle, nous revoilà à la case départ, à la case zéro. Mais notre situation reste bien pire que celle des Français de l’époque : nous nous retrouvons avec les mêmes acteurs politiques, et en plus de cela, les mêmes acteurs avec un crime de plus commis à l’encontre des Libanais : celui de l’explosion du port.
C’est comme si Louis XVI était revenu au pouvoir après la révolution de 1789, et avait en prime détruit une partie de Paris et tué une partie des Parisiens. Telle est notre situation aujourd’hui au Liban.
Ce dont nous aurions besoin maintenant, plus que jamais, serait d’une révolution, certes, nous ne le dirons jamais assez, mais d’une révolution qui a pour but final non pas uniquement de fermer des routes, ou manifester sur des places publiques ; une révolution qui aurait un plan intellectuel et politique clair, mais aussi des débouchées culturelles claires. Et ce n’est que ce genre de révolution qui produit un impact sur le long terme, que ce soit à un niveau national, culturel, politique ou citoyen, et qui est capable de donner naissance à quelque chose d’aussi fondamental que « La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen », chose qui est complètement absente au Liban aujourd’hui.
Il y aurait donc une sorte de ressemblance entre la situation politique française du 19ème siècle et celle du Liban d’aujourd’hui. Mais il y a surtout un décalage. Quand Napoléon est revenu au pouvoir, par exemple, il y avait sûrement une part de son égo qui le voulait, un agenda personnel, mais qui ne prenait pas le dessus sur son désir de refaire de la France un empire en bonne et due forme, contrairement à notre classe dirigeante qui est revenue au pouvoir en salivant devant toutes les opportunités pour s’enrichir au Liban, et qui a fait du Liban une sorte de terrain de jeu dans lequel tout lui est permis, sans rien donner en échange.
La France au 19ème siècle a peut-être fait un retour à l’empire puis à la monarchie, mais a aussi bénéficié.